Grenier est venu résolument s’inscrire en faux contre une telle superstition, comme il la qualifie ; et tandis que ses camarades et confrères de l’École d’Athènes, les Gandar, les Lévêque, à la suite d’Ampère et de presque tous les voyageurs, reconnaissaient la vérité d’Homère à chaque pas et la proclamaient avec louange, lui, esprit ferme, original, un peu humoriste, un peu sombre, destiné aux luttes de chaque jour avec la rude et poignante réalité, il disait non, et ne voyait dans la plupart des épithètes homériques que des banalités convenues, vagues ou fausses, et si générales qu’on n’en peut rien conclure. […] Il eût fallu du moins, pour prévenir et tromper le malaise, une bonne et solide réalité.
C’est ainsi que le lyrique même, grâce aux détails naïfs qui le retiennent et le fixent dans la réalité, ne fait pas hors-d’œuvre, et concourt directement à l’effet dramatique. […] Le procédé en est d’ordinaire analytique et abstrait ; chaque personnage principal, au lieu de répandre sa passion au dehors en ne faisant qu’un avec elle, regarde le plus souvent cette passion au dedans de lui-même, et la raconte par ses paroles telle qu’il la voit au sein de ce monde intérieur, au sein de ce moi, comme disent les philosophes : de là une manière générale d’exposition et de récit qui suppose toujours dans chaque héros ou chaque héroïne un certain loisir pour s’examiner préalablement ; de là encore tout un ordre d’images délicates, et un tendre coloris de demi-jour, emprunté à une savante métaphysique du cœur ; mais peu ou point de réalité, et aucun de ces détails qui nous ramènent à l’aspect humain de cette vie.
Et les odeurs mêmes que nous mettons dans l’eau prennent, il nous semble, cette fade et nauséabonde odeur de cérat… Il nous faut nous arracher de l’hôpital et de ce qu’il laisse en vous, par quelque distraction violente. » 23 Cette réaction au contact de la réalité dolente, est surtout l’apanage des sincères, des vibrants, des profonds artistes… « Lorsqu’on est empoigné de cette façon, lorsqu’on sent ce dramatique vous remuer ainsi dans la tête, et les matériaux de votre œuvre vous faire si frissonnant, combien le petit succès du jour vous est inférieur, et comme ce n’est pas à cela que vous visez, mais bien à réaliser ce que vous avez perçu avec l’âme et les yeux. » 24 Ce dernier desideratum n’est plus du tout celui d’Hector Malot dont les procédés de documentation, évidemment du meilleur réalisme, s’accordent le plus joliment du monde avec un très avéré désir de publicité, de succès. […] Une telle vision des choses, est « plus probante que la réalité même. » 40 16.