Quand donc nous parlons d’expression humaine de la notion divine, nous entendons une idée analogue à celle que Shelley a radieusement exprimée : Ô terre heureuse, réalité de ciel ! […] Ces lois d’harmonie sont les sauvegardes qui lui permettent — écrivain, musicien ou peintre — de choisir le thème qui lui servira de prétexte à s’exprimer lui-même dans sa réalité intime, dans sa sorte particulière de comprendre la notion divine et de choisir aussi librement ses moyens d’expression. […] Éviter quelque réalité d’échafaudage demeuré autour de cette architecture spontanée et magique, n’y implique pas le manque de puissants calculs et subtils, mais on les ignore, eux-mêmes se font mystérieux exprès. […] Toujours, au contraire, et partout, sous les divers visages qu’elle emprunte ainsi que de délicieux masques, nous l’avons vue immuable en sa réalité profonde, c’est-à-dire dans le sentiment de son idéal divin. […] Plus nous approchons de la lumière et plus notre ombre grandit derrière nous et la plupart estiment que cette ombre est la réalité de notre vie.
Si les idées nous étaient données primitivement sans aucun lien entre elles et sans aucun lien avec la réalité, nous aurions beau ensuite les comparer, nous ne pourrions ni les unir entre elles ni les unir avec les objets. […] La conscience, c’est par excellence l’actuation, la réalité en moi et pour moi, origine et type de toute certitude, de toute croyance ; c’est l’immédiation de l’apparaître et de l’être. […] Il est clair que cette représentation du cheval ailé, étant seule, sans qu’aucune perception ni aucun souvenir la contrarie, constituera toute l’actualité pour l’intelligence de l’enfant : le cheval ailé sera présent pour l’enfant, et, à lui seul, sera tout l’objet de sa conscience : ce sera son univers, ce sera la réalité au-delà de laquelle il ne peut rien concevoir et contre laquelle il ne peut rien élever. […] A vrai dire, toutes nos représentations des choses, tous nos sentiments, toutes nos actions, toute notre philosophie et notre science même sont à quelque degré symboliques, car nous ne connaissons rien d’une manière absolue et complète ; nous connaissons seulement, et en partie, les rapports des choses entre elles ou avec nous : nos conceptions sont donc, comme Leibniz l’a bien vu, des symboles dans lesquels la partie est substituée au tout, la forme au fond, les rapports plus ou moins extrinsèques à l’être intime, le relatif à l’absolu, le phénomène à la réalité. Mais cette infériorité de la représentation par rapport au réel crée aussi une supériorité : elle rend possible le monde des idées, qui n’est pas une pure copie du monde réel, mais un prolongement de la réalité dans la pensée, et où la réalité même prend une direction nouvelle : le monde des idées est ainsi, sous tous les rapports, un monde de forces.
— Pour le temps comme pour l’espace, on imagine par analogie des indivisibles, des infiniment petits, le point ou le moment mathématiques, après quoi on fait de vains efforts pour reconstruire la réalité continue. […] La réalité est, pour parler le langage de Pythagore, dans les intervalles et non dans les limites, dans le continu et non dans le discontinu. […] Continuité, voilà le caractère de la réalité, et c’est aussi celui de la conscience. […] Quand il s’agit d’une peine passée, il y a un sentiment de délivrance particulier, qui suppose encore une simple idéalité par opposition à la réalité. […] Le temps, d’ailleurs, est-il donc vraiment un objet, une réalité qu’on puisse intueri, contempler, une existence pure et supra-sensible qu’on verrait d’une vision pure et supra-sensible ?