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543. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Histoire de la querelle des anciens et des modernes par M. Hippolyte Rigault — II » pp. 150-171

» Il avait raison en un sens, il choisissait bien ses exemples ; mais il avait tort en ce qu’il confondait tous les âges et qu’il ne se figurait pas qu’il avait pu y avoir une belle jeunesse première, une saison d’efflorescence vigoureuse dans la mieux douée des races, se servant de la plus variée et de la plus euphonique des langues, et que sous des conditions uniques il en était sorti toute une poésie et un art primitif, plus voisin de la nature, et qui ne s’est vu qu’une fois : Homère, disait-il avec une sorte de naïveté contente de soi et de son temps et très commune alors, Homère aurait peut-être atteint à la perfection, s’il fût né dans le siècle d’Auguste ou dans le nôtre ; mais né dans des temps où l’art ne s’était point encore montré, n’étant guidé par aucunes règles, éclairé par aucun exemple, on lui doit tenir grand compte de son poème, tout monstrueux qu’il est. […] J’ai marqué les erreurs de l’abbé et de son ami : ce qu’il faut dire maintenant à leur avantage, c’est qu’ils pensaient par eux-mêmes, qu’ils voyaient clair là où leur vue portait ; qu’ils avaient raison contre ceux qui prétendaient trouver dans les poèmes d’Homère un dessein moral réfléchi, et de plus une règle et un patron de composition savante pour tous les poèmes épiques à venir ; c’est enfin qu’en forçant les adversaires à déduire leurs raisons et à débrouiller leur enthousiasme, ils hâtaient le moment où l’on saurait faire les deux parts, et où l’admiration pour Homère ne serait plus qu’une libre, une vive et directe intelligence de ses beautés sans aucune servitude.

544. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Souvenirs militaires et intimes du général vicomte de Pelleport, publiés par son fils. » pp. 324-345

De cette sorte, et si l’on s’en tenait à cette règle, la connaissance des faits irait s’accroissant en réalité ; on entendrait successivement bien des témoins, mais des témoins toujours utiles ; on ne recommencerait pas sans cesse d’éternels récits qui n’ont de prix que chez les narrateurs vraiment originaux et compétents, en attendant qu’ils aient rencontré l’artiste définitif et suprême. […] À côté de ces deux familles de guerriers, dont je n’indique que la physionomie la plus générale, il en est une autre bien essentielle et qui, dans cette grande communauté de l’armée, constitue peut-être la partie la plus solide, et, si l’on osait dire, la plus consistante : ce sont ces hommes, non pas glorieux, mais modestes, sensés mais sans être philosophes ni raisonneurs, s’abstenant de toute politique, qui ont le culte de l’honneur, du devoir, de la règle, toujours prêts à servir, à combattre, ne demandant rien, contents et presque étonnés lorsque leur vient la récompense, inviolablement fidèles au drapeau et au serment.

545. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Benjamin Constant. Son cours de politique constitutionnelle, ou collection de ses divers écrits et brochures avec une introduction et des notes, par M. Laboulaye »

Tout bien considéré, et jusque dans cette petite Cour de Brunswick, où il servit en qualité de gentilhomme attaché à monseigneur le duc régnant, il était pour la Révolution française : « Le genre humain, écrivait-il en 1790, est né sot et mené par des fripons, c’est la règle ; mais, entre fripons et fripons, je donne ma voix aux Mirabeau et aux Barnave plutôt qu’aux Sartine et aux Breteuil… » Voilà le point de départ du futur tribun, ne l’oublions jamais. […] Il répondrait, s’il était là présent (car il eut plus d’une fois à répondre à des interpellations pareilles), que s’il se crut en droit de servir le Directoire avant comme après fructidor, c’est qu’il s’était fait une maxime, qu’il s’était posé une règle dès l’entrée de sa carrière, à savoir de s’attacher non au meilleur des gouvernements, mais à celui qui offrait des garanties, des moyens d’amélioration, et de se rallier à tout régime où il y avait espoir, sinon de faire prévaloir tous les principes, du moins d’en introduire et d’en appliquer quelques-uns : « En attendant ce qui est bon, disait-il, j’adopterai ce qui est moins mauvais. » Quoiqu’il puisse paraître singulier qu’en vertu de cette maxime il ait été amené à préférer le Directoire expirant à l’ère consulaire qui s’inaugurait, je ne le chicanerai pas là-dessus.

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