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597. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. CHARLES MAGNIN (Causeries et Méditations historiques et littéraires.) » pp. 387-414

L’ancienne critique, à voir paraître cet adversaire inattendu, ne pouvait méconnaître ni son propre costume, ni ses formes mêmes, en ce qu’elles avaient de net, de judicieux et d’excellent ; elle s’étonnait d’autant plus des conséquences : Miraturque novas frondes et non sua poma. […] Dans les figures historiques ou littéraires que tel autre déprime, dans celles qu’il exalte, je le retrouve au fond ; c’est lui encore qu’il préfère et qu’il célèbre sous ces noms divers ; dans les types favoris qu’à tout propos il ramène, il ne fait que sa propre apothéose. […] Le grand bibliothécaire par excellence, Gabriel Naudé, en parle étrangement en son style plus énergique qu’élégant : « Les bibliothèques, dit-il, ne peuvent mieux être comparées qu’au pré de Sénèque, où chaque animal trouve ce qui lui est propre : Bos herbam, canis leporem, ciconia lacertam 181. » Et arrivant à la connaissance des livres des novateurs, il la conseille en temps et lieu, comme fournissant à l’esprit une milliasse d’ouvertures et de conceptions, le faisant parler à propos de toutes choses, et lui ôtant l’admiration, qui est le vrai signe de notre faiblesse. […] Dans ce Huron devenu artilleur, il y eut de l’Alcibiade. » — Au sortir de Longus et entre deux pages d’Hérodote, il lui parut plaisant de prendre à partie un régime tracassier et hypocrite qui l’avait piqué ; la difficulté de tout dire et de bien dire était l’amorce tout à fait propre à tenter cet esprit rompu aux grâces. […] Un jeune homme soumettait à La Harpe le manuscrit d’une tragédie de Marie Stuart ; La Harpe lut la pièce et répondit : « Votre pièce est assez bien écrite, mais le sujet n’est nullement propre au théâtre ; s’il l’était, Voltaire ou moi nous nous en serions emparés. » Voltaire ou moi !

598. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE PONTIVY » pp. 492-514

Car, lui, il est l’âme même ; il vit d’une vie invisible ; il se guérit par ses propres baumes, il se répare, il recommence, il n’a pas cessé ; il va jusqu’à la tombe et s’éternise au delà. […] Plus d’un (et des plus beaux sans doute) ont été cachés : car c’est le propre de l’amour le plus vrai de chérir le mystère et de vouloir être enseveli. […] Mais, à travers toutes les sortes de discussions sur la Bulle, et au plus vif de ses propres inquiétudes pour obtenir la grâce impossible de son mari, Mme de Pontivy rencontra chez sa tante M. de Murçay. […] Mme de Pontivy remarquait par instants ce peu de rayonnement d’un cœur au fond si pénétré, et elle lui en faisait des plaintes tendres qu’apaisaient bientôt de parfaites paroles ou mieux des soupirs brûlants ; et puis, son propre soleil, à elle, couvrait tout. […] Cet amour sans infidélité, sans soupçons, sans accident du dehors, se mourait, en quelque sorte, de lui-même et de sa propre langueur.

599. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre II. Littérature bourgeoise — Chapitre I. Roman de Renart et Fabliaux »

Ainsi chaque espèce est fortement individualisée ; à l’abstraite et vague idée qu’évoque le nom commun de l’espèce, le nom propre, personnel, substitue l’image précise d’une physionomie et d’un tempérament uniques. […] Quand eut-on, et qui eut l’idée géniale, épique, d’ajouter au nom de l’espèce un nom propre qui fit surgir l’individu du type ? […] La société d’animaux qu’on nous présente est, par hypothèse, tout idéale et toute fantaisiste : elle combine des actions et des formes propres à l’homme avec des actions et des formes propres aux bêtes. C’est ainsi qu’à la cour du roi Noble, toutes les espèces vivent en paix : je veux dire qu’entre les animaux titrés de noms propres qui y sont assemblés, ne peuvent exister que des luttes féodales.

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