Bien supérieur à Horace, qui jetait son bouclier pour mieux fuir la mort des héros, et qui se vantait de sa lâcheté pour mieux flatter Auguste, le poète allemand bravait pendant deux mois la mort pour son prince, et ne s’en vantait pas ; il était héros comme il était poète, sans mérite et sans effort. […] Ses vertus le firent distinguer par le duc de Wurtemberg, un de ces petits princes qui connaissaient tous leurs sujets par leurs noms. […] Bientôt disgracié du prince pour avoir fait diversion à ses fonctions subalternes de chirurgien par un drame et par des odes, il s’évade de Stuttgart et va chercher plus d’indulgence à Mannheim. On refuse d’y représenter sa tragédie, un peu froide, en effet, de Fiesque ; on le pourchasse au nom de son prince mécontent. […] Un jour qu’elle était chez le prince primat avec toutes les chanoinesses, portant le costume de son ordre, une robe à queue, un col blanc avec la croix d’ordonnance, quelqu’un fit la remarque qu’elle ressemblait à une apparition au milieu des autres dames, à un esprit qui allait s’évanouir dans l’air.
L’histoire notera ce prince comme un des plus grands ennemis du genre humain qui aient jamais existé. […] Laissons le comte de Maistre faire lui-même cette étonnante confession. « Ne vous fiez pas aux princes », dit l’Écriture. […] Qu’avait-il à faire en effet à Pétersbourg qu’à recevoir de loin les rumeurs des champs de bataille, des négociations, des congrès, des entrevues d’Erfurt ou de Tilsitt entre les princes, et à transmettre à sa cour les mille et mille commérages politiques des salons de Pétersbourg, commérages vagues, souvent faux, sur lesquels il échafaudait des dépêches, des plans, des combinaisons plus propres à amuser sa cour de Cagliari qu’à la servir ? […] Nous avons vu un autre grand écrivain politique, comblé de dons et d’honneurs par les princes de la maison de Bourbon, remplir également le monde de ses plaintes mal fondées contre leur prétendue ingratitude. […] Supposez que notre souverain de Piémont, n’ayant qu’un titre de prince ou de duc, se contente de régner à la manière des Médicis de Florence, par exemple : vous ne trouverez pas en Europe de pays supérieur au nôtre ; mais si le pays est obligé de supporter une couronne royale et si on y bat le tambour, la chose change de face, et le voilà tout de suite trop petit pour être une planète et trop grand pour être un satellite.
La duchesse d’Orléans, mère du Régent, écrivait en juillet 1699 : Rien n’est plus rare en France (il fallait dire : à la Cour) que la foi chrétienne ; il n’y a plus de vice ici dont on eût honte ; et, si le roi voulait punir tous ceux qui se rendent coupables des plus grands vices, il ne verrait plus autour de lui ni nobles, ni princes, ni serviteurs ; il n’y aurait même aucune maison de France qui ne fût en deuil. […] Le sacre de Massillon eut lieu le 21 (et non le 16) décembre 1718, dans la chapelle même du roi, et ce jeune prince y voulut assister. […] retentissaient de toutes parts : « Jamais, dit l’Estoile, ne vit-on un si grand applaudissement de peuple à roi que celui qui se fit ce jour à ce bon prince partout où il passa. » On le faisait remarquer à Henri IV, qui répondit en secouant la tête : « C’est un peuple ; si mon plus grand ennemi était là où je suis, et qu’il le vît passer, il lui en ferait autant qu’à moi et crierait encore plus haut qu’il ne fait. » On cite une réponse toute pareille de Cromwell ; mais dans la bouche de Henri IV le mot, ce me semble, a encore plus de poids.