Je suis prêt, pour ma part, à me conformer aux conseils de la prudence ; je suis prêt à me taire ; mais c’est à cette condition pourtant qu’on ne prétendra pas me contraindre à proclamer qu’un tel droit n’existe pas ; c’est à cette condition qu’on ne prétendra pas me contraindre à approuver par mes paroles, à tolérer par mon silence, à sceller du sang de mes concitoyens, des maximes de pure servitude. […] Et lorsque, des hauteurs où cette pensée nous transporte, on abaisse ses regards sur l’état actuel de l’Europe, lorsque l’on songe que ce sont ces mêmes cabinets que nous avons vus pendant trente ans si complaisants envers tous les gouvernements nés de notre Révolution, qui ont successivement traité avec la Convention, recherché l’amitié du Directoire, brigué l’alliance du dévastateur du monde ; lorsque l’on songe que ce sont ces mêmes ministres que nous avons vus si empressés aux conférences d’Erfurt qui viennent maintenant, gravement, de leur souveraine science et pleine autorité, flétrir de noms injurieux la cause pour laquelle Hampden est mort au champ d’honneur et lord Russell sur l’échafaud, en vérité le sang monte au visage ; on est tenté de se demander : Qui sont-ils enfin, ceux qui prétendent détruire ainsi, d’un trait de plume, nos vieilles admirations, les enseignements donnés à notre jeunesse, et jusqu’aux notions du beau et du juste ?
Instruisez-moi, je vous en conjure. » Les idiots de Ferney, c’est-à-dire les paroissiens ; notez cette perpétuelle et cruelle méthode de mépriser ceux qu’on prétend servir, et de substituer l’insolente satisfaction de l’orgueil en lieu et place de l’humaine charité. […] Tout cela est bien, le cas est beau et triomphant ; mais si, à quelques mois de là, le seigneur haut-justicier se trouve responsable des frais pour une affaire criminelle supportée par un des sujets dans un petit endroit appelé La Perrière, sur le territoire de Genève, Voltaire prétendra que ce lieu de La Perrière ne relève point de la terre de Tourney, et que le délit qu’y a pu commettre son sujet, et très mauvais sujet, ne le concerne en rien. […] Lorsqu’il avait publié son mémoire sur le culte idolâtrique des Fétiches, Voltaire, se hâtant d’y voir plus que le président n’avait prétendu y laisser paraître, lui avait écrit : « Je trouve que les anti-fétichiers devraient être unis comme l’étaient autrefois les initiés ; mais ils se mangent les uns les autres. » Le mot était jeté à propos d’une affaire très secondaire et comme en courant ; on n’a l’air que de plaisanter, et, en attendant, l’on tâte son monde.
Je ne veux pas faire tort à Volney ; je ne prétends point lui imposer la poésie : ce n’est point à Lamartine parcourant les mêmes lieux et les revêtant de ses couleurs trop vastes et de son luxe trop asiatique ; ce n’est pas à Chateaubriand, plus sobre et plus déterminé de contours, mais pittoresque avant tout, que je le comparerai : c’est à un savant de son temps, à un observateur et à un physicien du premier ordre, à l’illustre Saussure visitant, le baromètre et le marteau du géologue à la main, les hautes cimes des Alpes qu’il a comme découvertes. […] … Prétendez-vous vous soustraire à leurs regards lorsque vous leur devez un compte de toutes vos démarches, de toutes vos pensées ? […] Au moment où l’auteur veut détruire le surnaturel, il prétend l’évoquer, et le surnaturel lui fait défaut : il n’embrasse qu’un fantôme.