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693. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — Chapitre V. Swift. » pp. 2-82

Harley, pour qu’ils me traitassent en conséquence946. » Saint-John l’approuva, se justifia, dit qu’il avait passé plusieurs nuits à travailler, une nuit à boire, et que sa fatigue avait pu paraître de la mauvaise humeur. […] s’il vous restait seulement assez d’intérêt pour moi pour que cette plainte pût toucher votre pitié964 !  […] Pour qu’un raisonnement soit littéraire, il faut qu’il ne s’adresse point à tel intérêt ou à telle faction, mais à l’esprit pur, qu’il soit fondé sur des vérités universelles, qu’il s’appuie sur la justice absolue, qu’il puisse toucher toutes les raisons humaines ; autrement, étant local, il n’est qu’utile : il n’y a de beau que ce qui est général. […] Pour que vous puissiez le faire avec moins de dépense, j’ai ordonné à l’imprimeur de la vendre au plus bas prix969. » Vous voyez naître du premier coup d’œil l’inquiétude populaire ; c’est ce style qui touche les ouvriers et les paysans ; il faut cette simplicité, ces détails, pour entrer dans leur croyance. […] Et pour pousser un autre argument de nature semblable : si le christianisme était aboli, comment les libres penseurs, les puissants raisonneurs, les hommes de profonde science, sauraient-ils trouver un autre sujet si bien disposé à tous égards pour qu’ils puissent déployer leur talent ?

694. (1904) Zangwill pp. 7-90

Par une contrariété intérieure imprévue, et nouvelle dans l’histoire de l’humanité, il fallait justement arriver au monde moderne, à l’esprit moderne, aux méthodes modernes, pour que l’historien cessât réellement de se considérer comme un homme. […] Au nord »,… Circuit, le mot n’est pas de moi, le mot est de Taine ; cette méthode est proprement la méthode de la grande ceinture ; si vous voulez connaître Paris, commencez par tourner ; circulez de Chartres sur Montargis, et retour ; c’est la méthode des vibrations concentriques, en commençant par la vibration la plus circonférentielle, la plus éloignée du centre, la plus étrangère ; en admettant qu’on puisse obtenir jamais, pour commencer, cette vibration la plus circonférentielle ; car on voit bien comment des vibrations partent d’un centre, connu ; on ne voit pas comment obtenir la vibration la plus circonférentielle, ni même comment se la représenter, si le centre est par définition non connu, et si un cercle ne se conçoit point sans un centre connu ; pétition de principe ; c’est le contraire de ce qui se passe pour les ondes sonores, électriques, optiques, pour toutes les ondes qui se meuvent partant de leur point d’émission ; c’est le contraire de ce qui se passe quand on jette une pierre dans l’eau ; c’est une spirale commencée par le bout le plus éloigné du centre ; à condition qu’on tienne ce bout ; ce sont les vastes tournoiements plans de l’aigle, moins l’acuité du regard, et le coup de sonde, et, au centre, la saisie ; je découpe ici mon exemplaire, et je cite au long, pour que l’on voie, pour que l’on mesure, sur cet exemple éminent, toute la longueur du circuit : « Au nord, l’Océan bat les falaises blanchâtres ou noie les terres plates ; les coups de ce bélier monotone qui heurte obstinément la grève, l’entassement de ces eaux stériles qui assiègent l’embouchure des fleuves, la joie des vagues indomptées qui s’entre-choquent follement sur la plaine sans limites, font descendre au fond du cœur des émotions tragiques ; la mer est un hôte disproportionné et sauvage dont le voisinage laisse toujours dans l’homme un fond d’inquiétude et d’accablement. — En avançant vers l’est, vous rencontrez la grasse Flandre, antique nourrice de la vie corporelle, ses plaines immenses toutes regorgeantes d’une abondance grossière, ses prairies peuplées de troupeaux couchés qui ruminent, ses larges fleuves qui tournoient paisiblement à pleins bords sous les bateaux chargés, ses nuages noirâtres tachés de blancheurs éclatantes qui abattent incessamment leurs averses sur la verdure, son ciel changeant, plein de violents contrastes, et qui répand une beauté poétique sur sa lourde fécondité. — Au sortir de ce grand potager, le Rhin apparaît, et l’on remonte vers la France. […] Quel dommage que nous ne puissions, comme dans la légende racontée par Thomas de Cantimpré, donner rendez-vous à ceux d’entre nous qui seront morts, pour qu’ils viennent nous rendre compte de la réalité des choses de l’autre vie ! […] Il y a bien de la fabrication dans Renan, mais combien précautionneuse, attentive, religieuse, éloignée, ménagée, aménagée ; c’est une fabrication en réserve, une fabrication de rêve et d’aménagement, entourée de quels soins, de quelles attentions, délicates, maternelles ; on fabriquera ce Dieu dans un bocal, pour qu’il ne redoute pas les courants d’air ; on lui fera des conditions spéciales ; cette fabrication de Renan est vraiment une opération surhumaine, une génération surhumaine, suivie d’un enfantement surhumain ; et l’humanité de Renan, ou la surhumanité de Renan, si elle usurpe les fonctions divines, premièrement, nous l’avons dit, usurpe les fonctions de connaissance divine, les fonctions de toute connaissance, beaucoup plutôt que les fonctions de production divine, de toute création, deuxièmement, et ceci est capital, usurpe aussi, commence par usurper les qualités, les vertus divines ; cette première usurpation, cette usurpation préalable, pour nous moralistes impénitents, excuse, légitime la grande usurpation ; nous aimons qu’avant d’usurper les droits, on usurpe les devoirs, et avant la puissance, les qualités ; enfin l’accomplissement de cette usurpation est si lointain ; et les précautions dont on l’entoure, justement par ce qu’elles ont de minutieux, par tout le soin qu’elles exigent, peuvent si bien se retourner, s’entendre en précautions prises pour qu’il n’arrive pas ; une opération si lointaine, si délicate, si minutieuse, ne va point sans un nombre incalculable de risques ; Renan, grand artiste, a évidemment compté sur la sourde impression que l’attente et l’escompte de tous ces risques produiraient dans l’esprit du lecteur ; lui-même il envisage complaisamment ces risques ; ils atténuent, par un secret espoir de libération, de risque, d’aventure, et, qui sait, de cassure, disons le mot, de ratage, cette impression de servitude mortelle et d’achèvement clos ; ils effacent peut-être cette impression de servitude ; et quand même ils effaceraient cette impression glaciale ; l’auteur sans doute s’en consolerait aisément ; il ne tient pas tant que cela aux impressions qu’il fait naître ; ces risques soulagent également le lecteur et l’auteur ; par eux-mêmes Renan n’est point engagé au-delà des convenances intellectuelles et morales ; lui-même les envisage complaisamment ; dans cette institution de la Terreur intellectuelle que nous avons passée, la remettant à plus tard, « mais ne pensez-vous pas », dit Eudoxe : « Mais ne pensez-vous pas que le peuple, qui sentira grandir son maître, devinera le danger et se mettra en garde ?

695. (1911) L’attitude du lyrisme contemporain pp. 5-466

Pour que l’être vive dans sa plénitude, dans cet état d’extase triomphant, pour qu’il échappe au pessimisme, l’homme doit élever sa volonté au niveau de celle du monde entier, dilater son âme et l’emplir jusqu’au bord d’énergie bouillante. […] Dites, quel vol d’éclairs vient d’effleurer ma tête Pour que, ce soir, ma vie ait eu si peur de moi ? […] Bien avant de lire les poètes contemporains, il importait de les dénigrer pour qu’ils ne pussent goûter, jeunes, la gloire. […] Il faut qu’on lui apporte tous les jours, pour qu’elle survive, un peu de la terre de la Jérusalem d’Occident. […] Il a suffi que l’eau fût boueuse pour que ces gens se crussent pourvus d’un pays assez solide.

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