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607. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « L’abbé Prévost »

Mais au fond c’était une nature soumise, non raisonneuse, altérée des sources supérieures, encline à la spiritualité, largement crédule à l’invisible ; une intelligence de la famille de Malebranche en métaphysique ; une de ces âmes qui, ainsi qu’il l’a dit de sa Cécile, se portent d’une ardeur étonnante de sentiments vers un objet qui leur est incertain pour elles-mêmes ; qui aspirent au bonheur d’aimer sans bornes et sans mesure, et s’en croient empêchées par les ténèbres des sens et le poids de la chair. […] C’est l’inconsolable douleur de cette perte qui lui fait dire avec un accent de conviction naïve bien aussi pénétrant que nos obscurités fastueuses : « Si les pleurs et les soupirs ne peuvent porter le nom de plaisir, il est vrai néanmoins qu’ils ont une douceur infinie pour une personne mortellement affligée97. » Jeté par ce désespoir au sein de la religion, dans l’abbaye de…., où il séjourne trois ans, le marquis en est tiré, à force de violences obligeantes, par M. le duc de…, qui le conjure de servir de guide à son fils dans divers voyages. […] Il ne compose pas avec une idée ni suivant un but ; il se laisse porter à des événements qui s’entremêlent selon l’occurrence, et aux divers sentiments qui, là-dessus, serpentent comme les rivières aux contours des vallées. […] Des paysans survinrent ; on le porta au prochain village, et, le croyant mort, un chirurgien ignorant procéda sur l’heure à l’ouverture.

608. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre cinquième. Le peuple. — Chapitre I »

On a assassiné sur les chemins des femmes qui portaient du pain… M. le duc d’Orléans porta l’autre jour au conseil un morceau de pain, le mit devant la table du roi et dit : « Sire, voilà de quel pain se nourrissent aujourd’hui vos sujets… » — « Dans mon canton de Touraine, il y a déjà plus d’un an que les hommes mangent de l’herbe »  De toutes parts la misère se rapproche ; « on en parle à Versailles plus que jamais. […] Et pourtant elle est encore au-delà de ce que la nature humaine peut porter. […] Gaultier de Biauzat, Doléances sur les surcharges que portent les gens du Tiers-état, etc. (1789), 188. — Procès-verbaux de l’assemblée provinciale d’Auvergne (1787), 175.

609. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre I. Littérature héroïque et chevaleresque — Chapitre II. Les romans bretons »

Avant le milieu du xiie  siècle, la curiosité, l’intérêt du public, en Angleterre, en France et jusqu’en Italie, se portait de ce côté-là. […] Ils blessent des biches à voix humaine, suivent des sangliers magiques, se couchent dans des barques qui les portent au pays fatal où s’accomplira leur destinée de joie ou de misère. […] Le Graal devenait le plat de la Cène, que Jésus Christ lui-même avait apporté à Joseph d’Arimathie dans la prison où les Juifs le tenaient : commémoratif de l’institution de l’Eucharistie, il était doué de propriétés merveilleuses, comme celles de distinguer les pécheurs : ce Graal, porté en Angleterre, ne pouvait être trouvé que par un chevalier pur de tout péché, et qui accomplirait certaines actions impossibles à tout autre. […] Les chansons de geste et les romans bretons sont, si j’ose dire, les deux souches jumelles qui ont porté quelques-uns des rameaux les plus féconds de notre littérature.

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