Plusieurs poètes lui sont supérieurs par la puissance, et plusieurs par la renommée. […] Le poète, né vers 1790, avait alors plus de cinquante ans. […] Vous ajoutez que les poètes de cet ordre sont les seuls poètes, semblable à tous ceux qui n’aiment pas réellement la, poésie, par votre dédain pour les poètes que l’on appelle mineurs, et ces poètes mineurs ont pourtant écrit les chefs-d’œuvre peut-être de l’art des vers. […] C’est que l’œuvre des poètes anglais ne sert pas seulement au régal des lettrés. […] Et quand un poète qui n’est que poète obtient la renommée, c’est d’ordinaire par les portions de son talent que les véritables amants de son génie voudraient en distraire.
Il ne serait pas juste que le poète si charmant qui vient d’être enlevé disparût sans recevoir, même au milieu de ce qui a été dit et de ce qui se dira de vrai et de senti sur son talent, quelques mots particuliers d’adieu de la part d’un ancien ami, d’un témoin de ses premiers pas. […] de son vice et de son mal, il était si charmant, si hardiment jeté, il était l’occasion de si beaux vers, les deux cents vers les mieux lancés et les plus osés que la poésie française se fût jamais permis, que l’on concluait avec le poète lui-même en disant : Que dis-je ! […] On connaît trop bien cette histoire, devenue une fable, pour que ce soit une inconvenance de la rappeler en passant ; ce n’est point aux poètes de nos jours, aux enfants du siècle qu’il faut appliquer une discrétion dont ils ont si peu fait usage. […] Que manquait-il donc en ces années au poète, bien jeune encore, pour être heureux, pour vouloir vivre et aimer la vie, pour laisser son esprit courir et jouer en conversant sous des regards prêts à lui sourire, et son talent désormais plus calme, plus apaisé, s’animer encore par instants et combiner des inspirations renaissantes avec les nuances du goût ? Musset n’était que poète ; il voulait sentir.
Sainte-Beuve avait des engagements plus pressants d’abord envers le public, et son article du Globe reste encore son dernier et unique mot sur le grand poète romain. […] Mais nous avions probablement mal lu et mal compris le poète ; comme nous ne possédions pas encore la traduction de M. de Pongerville, il nous avait été impossible de saisir l’esprit de l’original et d’y découvrir ce que nul ne s’était avisé d’y voir : — quoi ? […] “Lucrèce, en effet, est le premier parmi les poètes qui ait chanté l’unité de Dieu, et l’on est forcé de reconnaître que le mot nature est pour lui une expression équivalente au terme qui nous retrace le régulateur de l’univers.” […] D’où peut venir cette variation de M. de Pongerville dans ses jugements sur son poète favori ? […] Sainte-Beuve s’y montrait peu favorable aux auteurs qui pouvaient encore à ce moment-là entrer à l’Académie française, rien qu’à la faveur et avec l’unique bagage d’une traduction en vers d’un poète quelconque de l’Antiquité.