Et pourtant chaque couplet renferme un jugement sévère, plein de pénétration et de sagacité. […] Le poète tend sa coupe pleine d’un vin généreux au messager haletant, et l’invite à dormir sur le sein de Nœris. […] Si les personnages ne vivent pas, ils parlent une langue pleine de grandeur et d’énergie. […] Le sujet de cette pièce est plein de grâce, et empreint d’une simplicité touchante. […] Jusque-là tout est bien, tout est vrai, tout est plein d’émotion et d’intérêt ; mais, par malheur, M.
Dieu sait que je versai des larmes plein mon chapeau le jour de cette maudite réception où mon père assista à mon insu dans une tribune : si je l’avais vu, cela m’eût coupé tout à fait la parole. […] Si cette tendre plante était mieux cultivée, la jeunesse ne serait-elle pas pour elle le plein exercice de cette vertu ? […] Ce n’était pas, comme l’avait été Vauvenargues, un jeune stoïque croyant fermement aux vérités morales et se fondant sur les points élevés de la conscience pour fuir le mal et pour pratiquer le bien, ce n’était point une âme héroïque condamnée par le sort à la souffrance et à la gêne de l’inaction : c’était une âme tendre, timide, ardente, pleine de désirs pieux et fervents, inhabile au monde et à ces scènes changeantes où elle ne voyait que des échelons et des figures, avide de se fondre dans l’esprit divin qui remplit tout, de frayer sans cesse avec Dieu, de le faire passer et parler en soi, une âme née pour être de la famille des chastes et des saints, de l’ordre des pieux acolytes, et à qui il ne manquait que son grand-prêtre. […] Tout en admettant sans contrôle et sans critique le merveilleux qui faisait le fond et l’attrait de ce genre d’opérations, Saint-Martin, plus tourné au moral, ne se livrait pas sans réserve à des procédés où la curiosité s’irritait sans cesse et où le cœur profitait si peu ; et lorsqu’en 1792, à Strasbourg, il lui fut donné auprès d’une amie, Mme Boechlin, de connaître les ouvrages allemands de Jacob Boehm, qu’il appelle le Prince des philosophes divins, il crut pouvoir renoncer absolument à toute cette physique périlleuse et pleine de pièges, pour ne plus cultiver que la méditation intérieure.
Cuvillier-Fleury, qu’il n’est pas interdit aux amis d’en dire quelque chose, je désirerais à mon tour que la même liberté fût laissée, non pas aux indifférents (ceux qui ont lu ce recueil ne sauraient plus l’être pour Mme de Tracy), mais aux étrangers et aux curieux pleins de respect qui n’ont pas eu l’honneur directement de la connaître : comme esprit et comme cœur, elle s’est peinte suffisamment à eux dans ces pages. […] Elle est d’avis que tous les âges ont leur joie, et, tout en sentant ce qu’elle a perdu, elle n’est pas envieuse contre la jeunesse : « J’aide à Mme de Coigny à finir ses petites bandes de tapisserie ; elle dit qu’il n’y a plus à présent d’autres fleurs pour elle dans le monde que celles quelle fait à l’aiguille, mais que le monde est tout plein devant moi de véritables fleurs. » Cependant la différence des sensations est continuelle, et l’on a sur chaque point comme une double note comparable entre les réflexions sensées de ce tiède hiver et les joies folâtres de ce jeune printemps : Avant dîner, nous avons été nous promener à la pluie, armées de parasols. […] Et Sénèque lui-même n’a-t-il pas dit à son jeune ami Lucilius, dans un admirable langage : « Viget animus, et gaudet non multum sibi esse cum corpore ; magnam partem oneris sui posuit ; exsultat, et mihi facit controversiam de senectute : hunc ait esse florem suum… » — « Mon esprit est plein de vigueur, et il se réjouit de n’avoir plus beaucoup à faire avec le corps ; il a déposé le plus lourd de son fardeau ; il bondit de joie, et me tient toutes sortes de discours sur la vieillesse : il dit que c’est à présent sa fleur. » Je trouve dans un livre d’hier, et sur ce même sujet de l’âge, cette autre pensée juste et ferme, et si poétiquement exprimée : Me promenant, par une belle journée d’octobre, dans les jardins de la villa Pamphili, je fus frappé de la beauté merveilleuse d’un grand nombre d’arbres verts que je n’avais point aperçus durant l’été, cachés qu’ils étaient par l’épais feuillage des massifs, alors dans tout l’éclat de la végétation, maintenant dépouillés. […] Mme de Tracy a écrit une notice pleine d’intérêt sur son illustre beau-père, le rigoureux idéologue.