Le livre est plein : The table is full , comme dans Macbeth, et Proudhon sert à tous et répand sur tous son brouet de familiarités grossières. […] Le pamphlétaire, voilà l’essence et le suprême, et le vrai et le plein, de ce faux philosophe, qui sonne creux et même finit par ne plus sonner du tout. […] Il est impuissant comme imagination spontanée dans le style, comme grand aperçu et vue pleine dans la pensée, mais il est resté viril et vigoureux par ailleurs. […] Il rit même de la terreur qu’il leur inspire, et jouit comme d’une chose très comique d’être le Croquemitaine de son époque ; car il l’a été un instant, lui qui, malgré sa haine de Dieu et de la propriété, se sent, au fond, un si bon homme, et chanterait à, pleine voix, s’il pouvait chanter : Tenez !
ce n’est pas à vous qu’il faut dire que cet homme, si homme entre tous, n’était pas un sauvage ni un désordonné, qu’il ne faut pas le confondre (parce qu’il a été parfois énergique ou subtil à l’excès, et qu’il a donné ou dans les grossièretés ou dans les raffinements de son temps) avec les excentriques et les fous pleins d’eux-mêmes, ivres de leur propre nature et de leurs œuvres, — ivres de leur vin. […] Je m’inclinerai devant la grande, la puissante et sublime parole de Bossuet, la plus impétueuse certainement et la plus pleine qui ait éclaté dans la langue française ; mais s’il s’agit d’agrément et de grâces, je les réserverai pour Fénelon. Quand je parlerai de Boileau, je ne louerai que modérément la poésie ou la pensée de ses satires, et même la pensée de ses épîtres ; nous verrons pourtant bien au net sa qualité rare, à titre de poète, dans quelques épîtres et dans Le Lutrin ; mais surtout je vous le montrerai tout plein de sens, de jugement, de probité, de mots sains et piquants et dits à propos, souvent avec courage, — caractère armé de raison et revêtu d’honneur, et méritant par là, autant que par le talent toute l’autorité qu’il exerça, même à deux pas de Louis XIV.
Ayant fait toutes mes réserves, j’ai le droit maintenant d’ajouter que ces deux volumes doivent peut-être à ce genre de commentaire animé et plein d’effusion, à tout ce luxe inusité, d’avoir du mouvement et de la vie ; d’un peu nus et d’un peu secs qu’ils eussent été autrement (les écrivains qu’on appelle attiques le sont parfois), ils sont devenus plus nourris, plus riches, d’une lecture plus diversifiée et, somme toute, fort agréable ; seulement, dans le plat varié qu’on nous sert, cela saute aux yeux tout d’abord, la sauce a inondé le poisson. […] Boissonade, à l’un des hommes qu’il distingua le plus, à celui qu’il avait choisi de son plein gré pour son suppléant, et à qui il écrivait, lui qui connaissait le prix de chaque mot : « Vous savez beaucoup de choses, et vous les savez bien » ; à M. […] Dans une lettre précédente, du 15 février 1808, par laquelle il répondait déjà à Boissonade qui n’avait osé, disait-il, lui envoyer son Philostrate comme étant trop faible et trop plein de fautes, il lui avait fait cette légère leçon sous forme d’éloge : Neque convenit tantæ tuæ doctrinæ tanta sive μιχροψυχία, sive είρωνεία… Savant comme vous êtes, c’est vraiment trop de pusillanimité à vous, ou d’ironie. » Le mot de pusillanimité est en grec, mais il est lâché.