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198. (1874) Premiers lundis. Tome I « A. de Lamartine : Harmonies poétiques et religieuses — I »

L’hymne de la nuit, celle du matin et du soir, celle de l’Enfant au réveil, la Cantate pour les enfants d’une maison de charité, la Lampe du temple et quelques autres pièces encore, ont toute la sérénité et la mansuétude d’une âme fidèle, virginale, d’un cœur doux et résigné, qui croit, qui espère et qui adore. […] Cette pièce, pourtant, n’est pas toujours onction et douceur ; elle devient parfois une extase, un délire, la voix du poète s’élève, éclate, et il s’écrie avec la trompette des anges, avec la lèvre ardente des prophètes : Mon âme a l’œil de l’aigle, et mes fortes pensées Au but de leurs désirs volant comme des traits, Chaque fois que mon sein respire, plus pressées Que les colombes des forêts, Montent, montent toujours, par d’autres remplacées, Et ne redescendent jamais ! […] Mais, dans toutes ces pièces, et avec des qualités différentes d’énergie ou de grâce, d’élévation ou de tendresse, le poète ne fait autre chose qu’invoquer et adorer. […] Mais si l’on veut trouver le sentiment chrétien avec ses espérances, ses besoins, ses angoisses intimes, tel qu’il agite et ronge en ce moment bien des âmes, c’est à d’autres pièces qu’il faut s’adresser, véritables méditations de métaphysique religieuse, où le poète, seul avec lui-même, cherche, interroge, doute, passe de la défaillance à l’espoir, et le plus souvent, dès qu’il a entrevu la lueur, se prosterne au lieu de conclure. […] Trois pièces importantes nous semblent marquer cette nuance nouvelle dans la manière religieuse de M. de Lamartine, savoir : L’Hymne au Christ, Pourquoi mon âme est-elle triste ?

199. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Ducis épistolaire. »

Villemain, et de rechercher ce qu’il y a de Shakespeare ou plutôt ce qu’il n’y en a pas dans les pièces de Ducis ; il n’a guère emprunté de son original que les titres et une certaine excitation chaleureuse pour se monter l’imagination sur les mêmes sujets ; et il n’a guère fait, à son tour, que fournir des motifs de beaux rôles et de masques tragiques à de grands comédiens comme Brizard, La Rive, Monvel, et en dernier lieu Talma. […] Je conçois, Monsieur, que vous avez dû me trouver bien téméraire de mettre sur le Théâtre-Français une pièce telle qu’Hamlet. […] J’ai donc été obligé, en quelque façon, de créer une pièce nouvelle. […] Ducis faisait une pièce comme il fait une scène, il serait notre premier tragique70. » Et dans ses moments de plus grande franchise La Harpe ajoutait encore : « C’est bien heureux que cet homme n’ait pas le sens commun, il nous écraserait tous. » Je voudrais insister sur les beautés de ces lettres de Ducis, dont la collection ferait un trésor moral et poétique ; on y joindrait les lettres de Thomas fort belles, fort douces et bien moins tendues de ton qu’on ne le suppose. […] On me reproche déjà le choix du sujet de Macbeth comme une chose atroce. « Monsieur Ducis, me dit-on, suspendez quelque temps ces tableaux épouvantables ; vous les reprendrez quand vous voudrez : mais donnez-nous une pièce tendre, dans le goût d’Inès, de Zaïre, une pièce qui fasse couler doucement nos larmes, qui vous concilie enfin les femmes, cette belle moitié de votre auditoire qui entraîne toujours l’autre.

200. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Millevoye »

Il avait d’ailleurs amassé en portefeuille un certain nombre de pièces légères ; il avait composé son Passage du mont Saint-Bernard, une Satire sur les Romans nouveaux, couronnée par l’Académie de Lyon, et sa pièce des Plaisirs du Poète. […] La perle du recueil, la pièce dont tous se souviennent, comme on se souvenait d’abord du Passereau de Lesbie dans le recueil de Catulle, est la première, la Chute des Feuilles. […] Cette pièce que chacun sait par cœur, et qui est l’expression délicieuse d’une mélancolie toujours sentie, suffit à sauver le nom poétique de Millevoye, comme la pièce de Fontenay suffit à Chaulieu, comme celle du Cimetière suffit à Gray. […] La jolie pièce du Déjeuner nous raconte bien des matinées de ses printemps. […] En général, beaucoup de ces romances de Millevoye, de ces élégies de son premier livre où il est tout entier, et j’oserai dire sa jolie pièce du Déjeuner même, me font l’effet de ce que pouvaient être plusieurs des premiers vers de Lamartine, de ces vers légers qu’à une certaine époque il a brûlés, dit-on.

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