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466. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Correspondance de Voltaire avec la duchesse de Saxe-Golha et autres lettres de lui inédites, publiées par MM. Évariste, Bavoux et Alphonse François. Œuvres et correspondance inédites de J-J. Rousseau, publiées par M. G. Streckeisen-Moultou. — II » pp. 231-245

Rousseau, dans le récit qui nous occupe, s’est attaché à montrer, durant une belle nuit d’été, le premier homme qui s’avisa de philosopher et de réfléchir, et il a prêté à cette philosophie naissante tout le charme, au contraire, de l’admiration et de la foi, toute l’ivresse d’un premier ravissement : Ce fut durant une belle nuit d’été que le premier homme qui tenta de philosopher, livré à une profonde et délicieuse rêverie et guidé par cet enthousiasme involontaire qui transporte quelquefois l’âme hors de sa demeure et lui fait, pour ainsi dire, embrasser tout l’univers, osa élever ses réflexions jusqu’au sanctuaire de la nature et pénétrer, par la pensée, aussi loin qu’il est permis à la sagesse humaine d’atteindre. […] Cette grâce fut le prix de son sincère amour pour la vérité et de la bonne foi avec laquelle, sans songer à se parer de ses vaines recherches, il consentait à perdre la peine qu’il avait prise et à convenir de son ignorance plutôt que de consacrer ses erreurs aux yeux des autres sous le beau nom de philosophie. […] A-t-il voulu simplement marquer que la nature humaine et l’esprit humain ne comportent la première manière de voir que chez un petit nombre d’individus, et que l’histoire n’admet point le triomphe de la philosophie pure ? Ce qu’on a droit de faire observer, c’est qu’en supposant que le morceau soit terminé (et j’aime à croire qu’il l’est), rien ne vient à l’appui d’une interprétation défavorable le moins du monde à la révélation dernière, et que la fin du songe, au contraire, s’élève et atteint à un tel degré de sérénité morale et de beauté, qu’il ne tient qu’à nous d’y voir le couronnement et le perfectionnement sublime, la divine transfiguration de la philosophie simple et nue.

467. (1814) Cours de littérature dramatique. Tome I

Cet insensé n’a pu souffrir l’autorité du meilleur des hommes ; il a immolé sa patrie à je ne sais quel principe de la philosophie grecque : aussi Brutus est-il l’idole des philosophes ; et Octave est un monstre, parce qu’il a vengé son père, et qu’il a outragé la philosophie en rétablissant l’ordre et les lois. […] D’Alembert avait un véritable zèle ; il rapportait tout à la cause qu’il avait embrassée ; tout ce qu’il faisait était pour la plus grande gloire de la philosophie. […] Cependant la politique, la morale, la saine philosophie semblaient exiger les plus grandes précautions pour que ce système anti-social ne fût point répandu dans le public. […] Faut-il s’étonner que l’éducation, la reconnaissance et le fanatisme, aient perverti ses idées, et que, même après sa conversion, il soit resté très hétérodoxe sur le mérite de ses anciens confrères en philosophie ? […] Les grosses bouffonneries du vieillard en goguettes étaient adorées comme les oracles sacrés d’une philosophie divine.

468. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre II. Des tragédies grecques » pp. 95-112

Ils ont transporté sur leur théâtre tout ce qu’il y avait de beau dans l’imagination des poètes, dans les caractères antiques, dans le culte du paganisme ; et le siècle de Périclès étant beaucoup plus avancé en philosophie que le siècle d’Homère, les pièces de théâtre ont aussi dans ce genre acquis plus de profondeur. […] On voit dans ces trois auteurs et leur talent personnel, et le développement de leur siècle ; mais aucun d’eux n’atteint à la peinture déchirante et mélancolique que les tragiques anglais, que les écrivains modernes nous ont donnée de la douleur ; aucun d’eux ne présente une philosophie sensible, aussi profondément analogue aux souffrances de l’âme. […] La chaîne des raisonnements conduit à des découvertes en philosophie, mais la première idée de l’invention des faits poétiques est presque toujours l’effet du hasard.

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