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956. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Émile de Girardin » pp. 45-61

I Lorsque le flageolet de la réclame annonça que Μ. de Girardin, le trop célèbre rédacteur de La Presse et l’auteur de La Politique universelle, venait de terminer une comédie, on put se demander si le journalisme, exercé pendant longtemps, avait l’heureuse propriété de donner à un homme, sur le tard de sa vie, des facultés que personne ni lui-même n’avaient jusque-là soupçonnées. […] … Assurément, en apprenant cette nouvelle, en entendant qu’il allait naître un nouveau Beaumarchais à la France dans la personne extrêmement connue de Μ. de Girardin, l’étonnement et la curiosité étaient légitimes. […] Autrefois, dans leurs comédies, les Allemands ne nommaient personne ; car le nom implique la vie, monsieur de Girardin !

957. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Nicolas Gogol »

Charrière, qui a pour Gogol les bontés d’un homme d’esprit pour la personne qu’il a pris la peine de traduire, n’hésite pas à mettre les Âmes mortes à côté de Gil Blas, et, si cela lui fait bien plaisir, nous ne dérangerons rien à cet arrangement de traducteur ; car la réputation de Gil Blas — ce livre écrit au café, entre deux parties de dominos, a dit le plus fin et le plus indulgent des connaisseurs, — n’est pas une de ces gloires solides qui aient tenu contre le temps. […] Écoutez cette plainte fatiguée : « Toutes les personnes, — écrit Gogol à un de ses amis, — toutes les personnes qui lisent, en Russie, sont persuadées que l’emploi que je fais de ma vie est de me moquer de tout homme que je regarde et d’en faire la caricature… » Bientôt, cette société qu’il avait blessée par cette suite de caricatures qui forment les divers chants de son poème des Âmes mortes, les fonctionnaires de cette Chine de fonctionnaires dont il avait dit les bassesses, les petitesses, le néant, l’aristocratie puérile, les femmes, les prêtres, tout se souleva contre lui.

958. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « M. Th. Ribot. La Philosophie de Schopenhauer » pp. 281-296

Mais l’idée du système qui allait succéder aux défunts, et qui doit être arrachée à son tour de cette terre stérile où rien ne vient des semences qu’y jette la métaphysique, n’était prise ni à Kant, ni à Hégel, ni à personne. […] Comme la tourbe de tous les athées, comme Goethe, chez lequel il alla valeter, Schopenhauer ne croit qu’à l’immortalité très commode de l’espèce, — ce qui supprime l’immortalité assez gênante de la personne, et, du même coup, la loi morale, qui a pour sanction ce genre d’immortalité. […] Schopenhauer a fait de la métaphysique aussi bien que personne, et, de son propre aveu, il est arrivé, par les sentiers les plus compliqués, les plus redoublés et les plus difficiles, à l’Inconnu d’une indégageable équation.

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