Et pourtant, malgré mon désir de sortir le plus tôt possible de ces temps de trouble et de révolution « où, comme l’a dit M. de Bonald, il est plus difficile de connaître son devoir que de le suivre36 », j’ai encore à exposer mieux que je ne l’ai fait jusqu’ici la conduite et le caractère du président Jeannin dans cette période orageuse, en le comparant surtout avec le personnage de Villeroi, auquel on l’associe volontiers, mais avec qui il ne doit point se confondre. […] Sully, qui aime assez peu ces deux personnages (car il aime peu de gens), et qui leur garde un fonds de rancune de royaliste contre ligueur, les soupçonne à tort et injustement en une circonstance particulière. […] Ce jugement sur Villeroi est injuste et, je dirai, vulgaire : Richelieu, en ses Mémoires, a porté sur Villeroi un jugement tout autrement équitable, et qui, sans grandir le personnage, sans lui rien accorder de ce qu’il n’a pas, et en reconnaissant qu’il manquait d’une certaine générosité dans les conseils, le classe à son rang comme homme habile et des plus entendus aux choses de gouvernement.
Il y a mis beaucoup du sien, sans doute, et il a prêté de ses idées au personnage ; je ne pense pas que le vrai Rameau fut un bohème aussi profond. Mais, avec un instinct étonnant d’art objectif, tout ce qui était sien s’est incorporé à la substance du personnage original dont la vision intérieure guidait sa plume. […] Au milieu de la réaliste histoire de Mme de la Pommeraye, tout d’un coup une déchirure se fait dans l’écorce du récit ; une poussée de sentiment jette ces cinq lignes brûlantes, dont nul personnage, ni l’auteur même n’endosse la responsabilité ; aussitôt tout se calme ; et deux minutes après nous buttons sur une énorme polissonnerie.
Le héros des Mémoires est le chevalier, depuis comte de Grammont, l’homme le plus à la mode de son temps, l’idéal du courtisan français à une époque où la Cour était tout, le type de ce personnage léger, brillant, souple, alerte, infatigable, réparant toutes les fautes et les folies par un coup d’épée ou par un bon mot : notre siècle en a vu encore de beaux restes dans le vicomte Alexandre de Ségur et le comte Louis de Narbonne. […] Bref, il savait faire toutes sortes de personnages avec tant de grâce et d’agrément, qu’il était difficile de se passer de lui quand il voulait bien prendre la peine de plaire. […] Les personnages qu’Hamilton rencontre sur son chemin et qu’il nous montre, vivent aussitôt.