Il n’est pas difficile, après une vie longue, quand on a entendu tout le monde et vu les dénouements, de venir faire, à propos de chaque personnage célèbre, une espèce de compilation de jugements, une cote tant bien que mal taillée, et de la donner sans y mettre le relief et la façon. […] Quel qu’ait été et que soit mon goût pour Beyle, je ne puis en mon âme et conscience consentir à un tel jugement, et je ne pense pas qu’aucun de ceux qui ont connu le personnage y souscrive.
Les discours prononcés chaque année à la rentrée des Cours impériales et de la Cour de cassation roulent d’ordinaire sur d’importants sujets, et sont quelquefois de véritables études concernant des personnages historiques qui n’appartiennent pas seulement à la magistrature, et qui intéressent tous les ordres de lecteurs. […] Il suffisait trop souvent d’un mot, dans le beau temps, pour rendre un personnage ridicule à Paris, à Athènes, à Rome, chez les nations bien disantes, parleuses et railleuses.
» Ce gentilhomme si bel esprit, et qui en parlait si à son aise, raisonnait en cela comme Cervantes lui-même, lequel fait dire à l’un de ses personnages au moment où l’on apprend que Don Quichotte est sur la voie de la guérison : « Ô seigneur, Dieu vous pardonne le tort que vous avez fait au monde entier, en voulant rendre à la raison le fou le plus divertissant qui existe ! […] Boileau, pendant un séjour aux eaux de Bourbon, où il cherchait à se guérir d’une extinction de voix, écrivait à Racine (9 août 1687) : « Je m’efforce de traîner ici ma misérable vie du mieux que je puis, avec un abbé très-honnête homme qui est trésorier d’une sainte chapelle, mon médecin et mon apothicaire : je passe le temps avec eux à peu près comme Don Quichotte le passait en un lugar de la Mancha, avec son curé, son barbier et le bachelier Samson Carrasco ; j’ai aussi une servante : il me manque une nièce ; mais de tous ces gens-là, celui qui joue le mieux son personnage, c’est moi qui suis presque aussi fou que lui… » Les poëtes français du grand siècle, en s’écrivant avec une bonhomie qui a certes bien son prix, n’ont aucune vue critique, aucun de ces aperçus littéraires qu’on serait tenté de leur demander.