Pour peu que, l’accès redoublant toujours, je m’écriasse : Fléaux du genre humain, illustres tyrans de vos semblables, hommes qui n’en avez que le titre, Rois, Princes, Monarques, Empereurs, Chefs, Souverains, vous tous enfin, qui, en vous élevant sur le trône & au dessus de vos semblables, avez perdu les idées d’égalité, d’équité, de sociabilité, de vérité, je vous assigne au Tribunal de la Raison ; écoutez : si ce globe malheureux a été votre proie, ce n’est point à la sagesse de vos prédécesseurs ni aux vertus des premiers humains que vous en êtes redevables, c’est à la stupidité, à la crainte, à la barbarie, à la persidie, & à la superstition : voilà vos titres Le Prophete Philosophe, Part. […] Après avoir invectivé les sociétés particulieres, sans rien perdre de l’estime publique, les Philosophes ont cru pouvoir s’en prendre à l’Espece humaine, sans craindre de voir diminuer le nombre de leurs benins admirateurs. […] Il en est de même de nos Philosophes : ils se croient les Etres les plus importans de ce globe ; la gloire de la Nation Françoise est perdue, depuis mes attentats sur leur réputation ; depuis que le Fabricateur des Bijoux indiscrets, l’Auteur de Bélisaire, le Compositeur de l’Essai sur les femmes, le Chantre des Saisons, &c. ont été relégués dans la classe qui leur convient, il n’existe plus dans l’Europe aucun souvenir des chef-d’œuvres des Grands Hommes qui ont illustré le génie François ; nous n’avons plus à vanter à l’Etranger, des Descartes, des Mallebranche, des Bossuet, des Fénélon, des Bourdaloue, des Massillon, des d’Aguesseau, des Cochin, des Corneille, des Racine, des Moliere, des Vertot, des Pascal, des la Bruyere, des Montesquieu, des Lafontaine, des Despréaux, &c. […] A mesure que j’ai découvert des noms estimables, je me suis fait un plaisir de les faire connoître ; & ceux de nos Auteurs vivans qui ont ajouté par de nouveaux Ouvrages, soit à la gloire qu’ils s’étoient déjà faite, soit à la séduction dangereuse contre laquelle les Esprits droits doivent se tenir en garde, verront que je n’ai perdu de vue aucun moyen de rendre justice aux talens, ni négligé aucune des précautions qui peuvent en prévenir l’abus. […] Qu’auront-ils donc à craindre, quand ils auront tout perdu, excepté une existence qui leur deviendra à charge à chaque pas ?
Mais ses traits ont perdu quiconque l’a suivi. […] De même, nous voyons la fable de Jupiter et le Métayer, du métayer qui demande à Jupiter de disposer de l’humidité et de la chaleur, et qui réussit à compromettre, même à perdre complètement sa récolte, et qui finit par reconnaître que Jupiter sait mieux ce qu’il nous faut que nous autres. […] C’est dans les Obsèques de la Lionne que La Fontaine montre le mieux, et avec une sorte de rire sarcastique, qu’en définitive c’est le Normand, — dans le sens péjoratif du mot qu’en définitive c’est l’habile, le rusé, l’adroit et le flatteur qui l’emporte là où l’Alceste des animaux, je veux dire l’ours, a perdu complètement la partie. […] Il s’agit d’un berger qui a pratiqué le commerce, qui a fait des négociations financières, qui a fait « des affaires », qui a tout perdu, et qui, ensuite, résigné à son sort, instruit par l’expérience, regarde les vaisseaux arriver au port avec une parfaite indifférence stoïcienne. […] vous n’aurez pas le nôtre. » Conseil, donc, de résignation, conseil qui consiste à vous dire, quand on a perdu son argent, de ne pas courir après.
On s’est donné bien de la peine pour étudier une langue difficile, on ne veut pas avoir perdu son temps, on veut même paraître aux yeux des autres récompensé avec usure des peines qu’on a prises, et on leur dit avec un froid transport, ah ! […] Or, en prononçant le latin et le grec, nous ne pratiquons point du tout ces élévements et ces abaissements successifs de la voix, si familiers et si fréquents chez les anciens ; autre source de plaisir perdue pour nous dans l’harmonie des langues mortes et savantes. […] Je ne doute pas qu’Anacréon ne fût en effet pour les Grecs un auteur charmant : mais je ne doute pas non plus que presque tout son mérite ne soit perdu pour nous, parce que ce mérite consistait sûrement presque en entier dans l’usage heureux qu’il faisait de sa langue ; usage dont la finesse ne saurait être aperçue par des yeux modernes. […] Nous nous contenterons donc d’exhorter les savants et les corps littéraires qui n’ont pas encore cessé d’écrire, en langue, latine, à ne point perdre cet utile usage. […] Le temps qu’on donne à l’étude des mots est autant de perdu pour l’étude des choses ; et nous avons tant de choses utiles à apprendre, tant de vérités à chercher, et si peu de temps à perdre.