/ 3012
945. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Procès de Jeanne d’arc, publiés pour la première fois par M. J. Quicherat. (6 vol. in-8º.) » pp. 399-420

Aujourd’hui, on est passé à une autre extrémité contraire, et on serait assez mal reçu, je pense, si on en avait la vilaine idée, de venir risquer à ce sujet le plus petit mot pour rire. […] » À quoi Jeanne répondait en les déconcertant : « Pensez-vous donc que Dieu n’ait pas de quoi le vêtir ?  […] Je penserais même, avec M.  […] » elle se contentait d’éluder, de se taire, et baissant les yeux : « Passez, disait-elle, à autre chose. » La noble fille, enlacée à son tour par le serpent, n’osait répondre comme Hector, mais elle pensait comme lui.

946. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Madame de Motteville. » pp. 168-188

Aujourd’hui, nous ne pensons plus ainsi. […] Chacun pensait à son dessein, à son intérêt et à sa cabale. […] À propos de Mme de Hautefort qui, avec sa fermeté sans douceur et son esprit attaché à son sens , résiste âprement à la reine, Mme de Motteville nous expose toute sa morale de cour à elle-même, une morale tempérée et non relâchée : Nous pouvons dire nos avis à nos maîtres et à nos amis, pense-t-elle ; mais quand ils se déterminent à ne les pas suivre, nous devons plutôt entrer dans leurs inclinations que suivre les nôtres, quand nous n’y connaissons point de mal essentiel, et que les choses par elles-mêmes sont indifférentes. […] La première journée des Barricades se passe presque toute en plaisanteries contre elle : « Comme j’étais la moins vaillante de la compagnie, toute la honte de cette journée tomba sur moi. » Pour une personne de cet intérieur, elle comprend très bien du premier coup la nature de la révolte dans la ville, et ce désordre si vite et si bien ordonné : Les bourgeois, dit-elle, qui avaient pris les armes fort volontiers pour sauver la ville du pillage, n’étaient guère plus sages que le peuple, et demandaient Broussel d’aussi bon cœur que le crocheteur ; car, outre qu’ils étaient tous infectés de l’amour du bien public, qu’ils estimaient être le leur en particulier… ils étaient remplis de joie de penser qu’ils étaient nécessaires à quelque chose.

947. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Montesquieu. — I. » pp. 41-62

Cependant Newton sera toujours Newton, c’est-à-dire le successeur de Descartes, et l’autre un homme commun, un vil artiste qui a vu une fois et n’a peut-être jamais pensé. […] Je ne sais comment ils pensent ; mais, pour moi, je ne veux pas troquer l’idée de mon immortalité contre celle de la béatitude d’un jour. […] Il y a des incorrections, par exemple : « La plus grande peine n’est pas de se divertir, c’est de le paraître. » Mais Montesquieu, sur le style, a des idées fort dégagées : « Un homme qui écrit bien, pense-t-il, n’écrit pas comme on écrit, mais comme il écrit ; et c’est souvent en parlant mal qu’il parle bien. » Il écrit donc à sa manière, et cette manière, toujours fine et vive, devient forte et fière et grandit avec les sujets. […] Il remarque que, de son temps, les ambassadeurs ou ministres étrangers ne connaissaient pas plus l’Angleterre qu’un enfant de six mois ; la liberté de la presse les abusait : « Comme on voit le diable dans les papiers périodiques, on croit que le peuple va se révolter demain ; mais il faut seulement se mettre dans l’esprit qu’en Angleterre comme ailleurs le peuple est mécontent des ministres, et que le peuple y écrit ce que l’on pense ailleurs. » Montesquieu apprécie cette liberté dont chacun veut là-bas et sait jouir : « Un couvreur se faisait apporter la gazette sur les toits pour la lire. » Il ne se fait point d’ailleurs d’illusion en beau sur l’état du pays et des institutions ; il juge au vrai la corruption des mœurs politiques, la vénalité des consciences et des votes, le côté positif et calculateur, cette peur d’être dupe, qui mène à la dureté.

/ 3012