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573. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) «  Mémoires et correspondance de Mme d’Épinay .  » pp. 187-207

Je lui réponds que j’écris tout ce qu’il dit, parce que cela vaut bien tout ce que je pense. […] Mais, avant tout, que je sache ce que vous pensez et quelles sont vos idées sur votre situation. » — « Hélas ! lui dis-je, j’ignore moi-même ce que je pense. » Et la jeune femme expose les contradictions de son propre cœur ; qu’il y a déjà longtemps qu’elle se croyait détachée de son mari et parfaitement indifférente, et pourtant qu’elle ne peut penser à lui sans verser des larmes, et qu’elle redoute par moments son retour, presque comme si elle le haïssait. […] « On en parlera pendant huit jours, peut-être même n’en parlera-t-on point, et puis l’on n’y pensera plus, si ce n’est pour dire : Elle a raison. » Le choix de Mme d’Épinay était fait dès lors plus qu’elle ne l’osait avouer à Mlle d’Ette, car un sentiment instinctif de délicatesse l’avertissait qu’il fallait cependant cacher quelque chose à cette prétendue amie, qui portait si hardiment la main à ces tendresses naissantes et timides.

574. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Le duc de Lauzun. » pp. 287-308

Son père y pensa pour lui et arrangea son mariage avec Mlle de Boufflers, petite-fille et héritière de la maréchale de Luxembourg. […] Environ deux ans après, au mois d’avril 1791, le duc de Biron tenta auprès de M. de Bouillé, qui commandait à Metz, une démarche d’un tout autre genre, et fut porteur de propositions toutes royalistes, de la part encore du duc d’Orléans ou de son parti : Le duc de Biron, dit M. de Bouillé, vint me voir à Metz, dans les premiers jours d’avril : membre de l’Assemblée constituante, ami du duc d’Orléans, constamment attaché à son parti, il ne fut jamais, à ce que je pense, le complice ni même le confident de ses crimes. […] Je lui dis que je ne le croyais pas associé à sa conduite criminelle, mais que, constamment attaché à ce prince, son parti, il aurait dû l’abandonner, puisqu’il pensait ainsi. […] On ajoute que, dans un sentiment plus élevé, il s’écria à l’instant de la mort : « J’ai été infidèle à mon Dieu, à mon Ordre et à mon Roi : je meurs plein de foi et de repentir39. » On aime à penser qu’en ce moment de suprême équité, un autre nom, une autre infidélité lui serait revenue encore en mémoire, et qu’il se serait dit quelque chose de plus à lui-même s’il avait pu prévoir que, quelques mois après, sa femme, cette modeste, charmante et vertueuse femme dont il a si indignement parlé, et dont tous, excepté lui, ont loué l’inaltérable douceur, la raison calme et soumise, et les manières toutes pleines de timidité et de pudeur, monterait à son tour sur l’échafaud. […] Il y a des traits fort spirituels ; il fait surtout plaisir à ceux qui ont connu, non Émilie, comme écrit Mme Necker, mais Amélie, et il fait mal quand on pense que cette excellente femme, recommandée à un Ange pour ses derniers moments, a été livrée au bourreau.

575. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome I « Bibliotheque d’un homme de goût. — Chapitre VI. Des Livres qui traitent de la Rhétorique. » pp. 294-329

Il est vrai qu’on se propose seulement d’instruire ; mais le genre didactique a ses graces particuliéres, j’en appelle à l’Art de penser. […] La Maniere de bien penser dans les ouvrages d’esprit, Paris 1688. […] Qu’on pense ou qu’on ne pense pas comme le P. […] Entr’autres opinions singulieres que l’on trouve rêpandues dans cet écrit, on est étonné que l’auteur y soutienne celle-ci, que les Chrétiens sages & éclairés croient qu’il vaut mieux écouter un beau & bon Sermon pour mieux pratiquer les vertus, que de demander à Dieu la grace de bien pratiquer ces vertus ; & il ose traiter ceux qui pensent différemment, d’Idolâtres, de Payens, de Quakers, & de Fanatiques ignorans.

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