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747. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Charles Labitte »

Et aujourd’hui même que le premier trouble a eu le temps de s’éclaircir et que rien ne voile plus l’étendue du vide, ce n’est pas un jugement régulier que nous viendrons essayer de porter sur celui qui nous manque tellement chaque jour et dont le nom revient en toute occasion à notre pensée. […] Quand on ramène sa pensée à ses premières années et qu’on veut revenir sur les traces que l’on a déjà parcourues, il n’y a rien qui éclaire davantage ces époques flottantes et vagues qu’un amour d’enfant venu avant l’âge des sens. […] Ces brusques et vigoureuses expéditions, où l’on pousse à toute bride la pensée, sont comme la guerre, et elles dévorent aussi bien des esprits. […] L’histoire politique n’aurait pas seule à profiter de cette publication ; ce serait la meilleure pièce justificative de la Satyre Ménippée. » Mais le recueil des Procès-verbaux ne répondit pas, du moins dans la pensée de l’éditeur, à cette dernière promesse. […] Je prie qu’on veuille bien ne pas se méprendre sur ma pensée et n’y rien lire de plus que je ne dis : ce ne sont pas le moins du monde les estimables recherches en elles-mêmes que je viens blâmer ; personne au contraire ne les prise plus que moi quand l’esprit s’y contient à son objet ; je parle simplement des conclusions exagérées qu’on y rattache.

748. (1861) La Fontaine et ses fables « Deuxième partie — Chapitre II. Les bêtes »

Elles le sont pour la réflexion étroite et grossière qui ne voit la vie que dans la pensée et la volonté. […] Car ici la pensée supprimée a supprimé la souffrance. […] On ne peut contempler les grandes lignes des paysages, le calme des ombres et de la lumière, la large voûte du ciel, sans se conformer à la pensée sourde qui semble pénétrer toutes ces choses et les unir. […] Ils sont affranchis de la forme, comme la plante est affranchie de la pensée, comme l’animal est affranchi de la raison. […] Nous savons bien, en leur prêtant ainsi des pensées et des émotions, que nous mettons notre âme dans leur être, et que notre discours n’est qu’image.

749. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre I. Polémistes et orateurs, 1815-1851 »

Il parle et il écrit une langue lâchée, négligée, toute pleine d’à-peu-près, molle et prolixe surtout, qui délaye la pensée et ne la serre jamais. […] Voyez ses campagnes de l’Empire : il a et il nous donne l’illusion de lire à tout moment toute la pensée de l’Empereur, et de conduire le monde avec elle ; son récit est ordonné comme un budget où tout est prévu. […] Par lui, la philosophie cessa pendant un demi-siècle d’être un libre exercice de la pensée. […] Il était bibliophile, amoureux de rares bouquins, fureteur de paperasses inédites ; il dut à ce goût une trouvaille précieuse : il aperçut le vrai texte des Pensées dans le manuscrit jusque-là négligé, et, le premier, il nous rendit tout Pascal. […] La tentative a été plus intéressante qu’heureuse : une certaine faiblesse de pensée s’y découvre, et plus de prétention à la science que de rigueur scientifique.

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