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1773. (1825) Racine et Shaskpeare, n° II pp. -103

À l’instant on aurait vu la même pensée sur tant de visages d’ailleurs si différents ; tous auraient dit : De quel supplice assez cruel pourrons-nous le faire mourir ? […] Certes, c’est en conscience qu’ils maudissent les profanateurs qui viennent troubler ce culte heureux qui, en échange de petites pensées arrangées en jolies phrases ; leur vaut tous les avantages que le gouvernement d’un grand peuple peut conférer, les cordons, les pensions, les honneurs, les places de censeurs, etc., etc. […] À mes yeux, ce style arrangé, compassé, plein de chutes piquantes, précieux, s’il faut dire toute ma pensée, convenait merveilleusement aux Français de 1785 ; M.  […] Villemain, tout joyeux d’avoir une petite pensée à mettre dans ses jolies phrases34, n’eût pas refusé à l’Académie le secours de sa rhétorique. […] La pensée ou le sentiment doivent avant tout être énoncés avec clarté dans le genre dramatique, en cela l’opposé du poème épique.

1774. (1894) Journal des Goncourt. Tome VII (1885-1888) « Année 1888 » pp. 231-328

Jollivet me disait, ce soir, qu’un de ses amis en faisait un à mon instar, et après avoir murmuré : « Oui, un paysage, une anecdote, une pensée… ça fait un ensemble amusant !  […] Puis, tout en battant le pavé, et m’échauffant la cervelle de mon accès de fièvre dramatique, je me disais qu’il fallait faire la pièce moi-même, et je ne sais comment ma pensée allait encore à La Faustin, avec l’idée d’en tirer une autre pièce, songeant à faire de Germinie Lacerteux, de La Fille Élisa, de La Faustin, une trilogie naturiste. […] Il déplore que nous n’ayons pas chacun de nous, un Eckermann, un individu sans vanité personnelle aucune, mettant, selon mon expression, tout ce qui flue de nous, dans les moments d’abandon ou de fouettage par la conversation : enfin toute cette expansion de cervelle ou de cœur, bien supérieure à ce que nous mettons dans nos livres, où l’expression de la pensée est, comme figée par l’imprimé. […] Je ne sais pourquoi, aujourd’hui, ma pensée va à la censure, à son veto, et j’interroge les attitudes des gens, les réponses qu’ils font à des questions quelconques, et malgré moi, j’y cherche des dessous ténébreux, confirmant ma pensée. […] Et comme il me revient, dans la parole, quelque chose de mes pensées du matin, sur la jeunesse actuelle, Daudet me dit que c’est la génération des instinctifs, des êtres de la race canine, qui lorsqu’ils ont trouvé un os, vont le manger dans un coin, et n’ont pas la solidarité des générations précédentes, et sont le plus beau triomphe de la personnalité et de l’égoïsme.

1775. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCVe entretien. Alfred de Vigny (2e partie) » pp. 321-411

La pensée et le sentiment ne se mirent d’accord en lui qu’à l’épreuve ; et il ne se pardonna cette glorieuse faute qu’après l’avoir courageusement expiée. […] Plus froidement calculés, les combats s’exécutent avec une violence savante. — La moindre pensée produit des actes aussi grands que jadis la foi la plus fervente. […] « Ce n’est pas une foi neuve, un culte de nouvelle invention, une pensée confuse ; c’est un sentiment né avec nous, indépendant des temps, des lieux, et même des religions ; un sentiment fier, inflexible, un instinct d’une incomparable beauté, qui n’a trouvé que dans les temps modernes un nom digne de lui, mais qui déjà produisait de sublimes grandeurs dans l’antiquité, et la fécondait comme ces beaux fleuves qui, dans leur source et leurs premiers détours, n’ont pas encore d’appellation. […] Une fermeté invincible le soutient contre tous et contre lui-même à cette pensée de veiller sur ce tabernacle pur, qui est dans sa poitrine comme un second cœur où siègerait un dieu. […] J’ignore sa pensée secrète à cet égard ; le rôle était grand, et il était libre.

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