En écrivant Werther il avait subi l’influence sourde de son temps ; mais il doutait que Werther fût un modèle de perfection morale qu’il fallût sans cesse imiter ; il doutait surtout que l’art dût se renfermer dans la peinture de la passion ou se perdre à la recherche d’un idéal insaisissable. […] Sa méthode est toute française : beaucoup d’analyse et peu de synthèse, des anecdotes familières mêlées aux jugements de la critique, des peintures de mœurs avec des biographies, des récits, et seulement ce qu’il faut de système pour que l’esprit du lecteur ne se promène pas à l’aventure, sans savoir où il arrivera. […] Le tact même et la discrétion lui font assez souvent défaut dans la peinture des femmes et dans les choses du cœur. […] Mais déjà nous avons sous les yeux une riante peinture, doucement animée par l’amour, la tendresse maternelle, la probité fière d’elle-même, l’esprit d’ordre, la bonté, les gentillesses d’un enfant, parure et joie du foyer domestique, qui grandit dans la paix et dans l’innocence. […] Il ne va guère au-delà de cette peinture douce des ridicules aristocratiques qui de tout temps a été un droit, une convention et une mode dans la république des lettres.
Remarquez que La Fontaine est obligé d’inventer tout dans cette peinture de la société réelle ; ses modèles ne lui fournissent rien ; il transforme ses originaux pour les compléter, Voici par exemple dans Pilpay le discours des canards à la tortue : « Ce n’est pas sans peine que nous nous éloignons de vous, mais nous y sommes obligés. […] Il a les nerfs délicats ; « ses peintures sont légères. » Il n’écrit point pour des Gargantuas du xvie siècle, videurs de brocs, mangeurs de tripes, tapageurs, batailleurs, à trognes rouges, bien membrés et charnus, occupés à s’empiffrer et à paillarder en plein soleil. […] Si par hasard en lui une idée s’éveille, elle l’incommode ; elle bourdonne dans sa tête comme une mouche dans une chambre close ; Garo, au bout de deux minutes, se trouve las d’avoir réfléchi sur le gland et la citrouille : « On ne dort pas, dit-il, quand on a tant d’esprit. » Et il va dormir ; un bon somme vaut mieux que tous les raisonnements du monde. — Toute cette peinture est assez repoussante, grotesque surtout, donnant matière aux railleries ; La Fontaine ne s’en est pas fait faute ; il prend ses aises aux dépens de ces manants, meuniers, aubergistes, « de Philipot la bonne bête, des phaétons des voitures à foin, des âniers qui mènent en empereurs romains un coursier à longues oreilles. » Il sait leur langage familier, coloré, gouailleur, et le parle comme s’il était allé d’habitude aux foires de Troyes pour y échanger des gaudrioles et des quolibets.
La Tristesse d’Olympio, le Lac, et Rolla resteront comme de tragiques peintures de ce singulier désarroi. […] Zola, appelé corrupteur par les catholiques est, selon moi, le plus moralisateur des écrivains, par la tristesse effroyable de ses peintures. […] Car elle n’a cherché en lui que le détail de mœurs et les peintures de nudité, à la façon de ces adolescents qui errent dans les musées en quête de chairs offertes à leur rêve inassouvi.