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472. (1894) La bataille littéraire. Septième série (1893) pp. -307

Paul Bourget, ce serait plus par les mots que par les pensées, cherchant, par exemple, souvent, comme lui, la description d’un de ses personnages dans ses souvenirs des maîtres peintres d’Italie. […] Sans raconter le roman dont le point principal est l’histoire de la passion d’une femme mariée pour un oisif de cercle, lequel a du moins le bon goût de se brûler la cervelle avant de devenir un coquin, je signalerai d’excellents portraits mondains ; celui d’un prince étranger, coureur de dots, exposant avec la plus grande déférence à son noble père la façon dont il entend faire son siège pour capter la fille d’un banquier juif, la silhouette de comédiens mêlés à des représentations de châteaux, et surtout celle d’un de ces peintres qui vivent plus dans les cercles et les salons que dans leurs ateliers ; la lettre du frère de ce peintre devrait servir de bréviaire à ceux qui vont perdre leur temps dans la compagnie des oisifs mondains, qui, en matière d’art, n’ont d’estime que pour ceux d’entre eux qui sont peintres amateurs, et que mépris pour ceux qui vivent de leurs pinceaux […] C’est celui-là qui, questionné sur l’intérêt que présentent les expositions annuelles des cercles, disait : — “Cela ne peut jamais être bon, puisque nous autres vrais peintres, nous n’y mettons que ce que nous avons de plus mauvais et les gens du monde que ce qu’ils font de meilleur.” » Voici quelques-uns des conseils donnés sous forme familière, par son frère, à notre peintre mondain : … Quand tu recevais chez toi les gens du monde, tu étais maître de la situation. […] Dans leur milieu, tu ne peux avoir l’air que d’un mondain amateur, de même que ceux des leurs qui venaient, à ton atelier, te soumettre de leur peinture, étaient pour toi des peintres amateurs. […] Cette singerie du passé est telle qu’on imagine une fête nationale dans laquelle doit passer un char qui rappelle les programmes du peintre David… avant, son tableau du sacre de l’Empereur.

473. (1911) Lyrisme, épopée, drame. Une loi de l’histoire littéraire expliquée par l’évolution générale « Appendices » pp. 235-309

Parce que Chevreul a distingué vingt-cinq mille tons de couleur, on ne saurait pourtant nier les sept couleurs du spectre solaire ; et ainsi qu’un peintre voit en jaune, un autre en violet, de même un poète sent en poète lyrique et un autre en dramaturge. […] Né dans les Abruzzes en 1863 (ou 1864), Gabriele D’Annunzio débuta à seize ans par un volume de vers (Primo vere), et vint à Rome en 1881, où il fit partie d’un groupe de « jeunes » ; groupe dont l’histoire serait fort intéressante ; il comprenait, entre autres, le peintre Michetti, le journaliste Scarfoglio, le musicien Tosti, le poète Pascarella, et Giulio Salvadori qui écrivait alors le Canzoniere civile… On en était aux premières ivresses de la jeune Italie, avant la crise économique, politique et sociale. […] Pénétré de cette idée mystique d’une génialité affranchie de toute technique et de toute loi terrestre, un poète tel que Pascoli en arrive à dire, sans sourciller, que D’Annunzio pourra être, dès qu’il le voudra, musicien, peintre ou sculpteur. […] En effet, des lieux divers, tous nettement caractérisés, supposent des milieux divers que le poète est bien forcé de caractériser aussi ; supposez trois conspirateurs dans un salon où l’on danse : vous serez bien forcé de faire bouger et parler, autour d’eux, des danseurs et danseuses ; d’où perte de temps, déviation de l’intérêt ; qu’il s’agisse d’un atelier de peintre, ou d’une table de whist, c’est toujours un milieu nouveau qui impose une certaine mentalité et des accessoires inutiles à l’action. […] Tenons-nous en à ce simple fait, que la moindre nature morte suppose une convention ; devant ce bœuf à l’étal de Rembrandt ou devant ces pèches de Chardin, je sais que le peintre a voulu me donner, non de la viande, ni des fruits mûrs, mais quelque chose d’autre, par la forme et la couleur ; j’y consens ; tout est là. — Or, de tous les arts, c’est bien l’art dramatique qui implique le plus grand nombre de conventions, précisément parce qu’il se sert des moyens les plus matériels, les plus semblables à la nue réalité.

474. (1894) Dégénérescence. Fin de siècle, le mysticisme. L’égotisme, le réalisme, le vingtième siècle

Les peintres qui assurent qu’ils sont sincères et rendent la nature telle qu’ils la voient, disent souvent la vérité. […] Quand le groupe fut formé, les peintres F. […] Et reconnaître et rendre cette forme idéale, continue-t-il, est la grande tâche du peintre. […] La « forme idéale » à laquelle aspire chaque objet, le peintre ne la voit pas devant lui avec les yeux du corps. […] C’est que le Dante, comme les peintres primitifs, était mystique par ignorance, non par faiblesse d’esprit dégénérescente.

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