Mais il y a loin de ces travaux d’embellissement, qui l’engagèrent plus qu’il n’aurait voulu d’abord, au laborieux tableau tracé par La Bruyère ; et j’aime à penser que, si l’observateur moraliste avait songé à Gourville, ç’aurait été plutôt pour peindre ce personnage naturel et original, par les côtés vraiment singuliers et caractéristiques qui en font un individu-modèle dans son espèce. […] Cela le fit rire… » Dans les quelques jours qu’il a passés au camp, Gourville fait de ces remarques positives et curieuses comme il en a partout, et qui peignent les mœurs.
Il a beau peindre sa Thémire, il reste pour nous plus sensuel en amour que sentimental : « J’ai été dans ma jeunesse assez heureux, disait-il, pour m’attacher à des femmes que j’ai cru qui m’aimaient ; dès que j’ai cessé de le croire, je m’en suis détaché soudain. » Et il ajoute : « J’ai assez aimé à dire aux femmes des fadeurs, et à leur rendre des services qui coûtent si peu. » Le Temple de Gnide est une de ces fadeurs, mais qui a dû lui coûter du travail. […] Et n’est-ce pas lui qui, dans le secret du cabinet, a dit : « Les histoires sont des faits faux composés sur des faits vrais, ou bien à l’occasion des vrais. » Et n’est-ce pas lui qui a dit encore : « On trouve dans les histoires les hommes peints en beau, et on ne les trouve pas tels qu’on les voit. » Qu’est-ce donc quand on ne s’attache qu’au génie de l’histoire ?
Dans L’Esprit des lois, Montesquieu paraît trop oublier que les hommes, les Français restent tels qu’il les a vus et peints dans les Lettres persanes, et, bien qu’il parle continuellement, et avec une conviction vertueuse, de gouvernement modéré, il ne se dit pas assez tout bas que cette modération n’est pas de ces qualités qui se transplantent. […] Mme Geoffrin peignait Montesquieu comme un homme distrait, « ne connaissant pas le nom de ses gens, ayant un carrosse qui faisait le bruit d’un fiacre, etc. ».