Mais une émotion neuve, sûrement créée par quelqu’un, ou quelques-uns, est venue utiliser ces notes préexistantes comme des harmoniques, et produire ainsi quelque chose de comparable au timbre original d’un nouvel instrument, ce que nous appelons dans nos pays le sentiment de la nature.
Préface de l’éditeura Anne Gourio 2012 « Non, Ghil, l’on ne peut se passer d’Eden ». Le mot par lequel Mallarmé répond, en 1888, au jeune auteur du Traité du Verbe est à la fois le point de rupture retentissant entre symbolisme et poésie scientifique, et la clé de voûte des « souvenirs » que Ghil publie en 1923. C’est autour de l’« Eden » mallarméen que s’organisent les chapitres de ce qui semble d’abord une simple chronique de la vie littéraire des 1880 et 1890, mais s’avère bientôt le récit de la confrontation prestigieuse de son auteur aux tenants de l’idéalisme poétique. Sans doute le contexte d’écriture des Dates et les Œuvres permet-il d’en éclairer le véritable l’enjeu. En 1923, René Ghilbert n’a plus que deux années à vivre ; depuis le début du siècle, l’auteur du Traité du Verbe est pour ainsi dire passé dans l’ombre : certes les volumes successifs de L’Œuvre, équivalent ghilien du fameux Livre mallarméen, ont vu peu à peu le jour, certes Ghil a consolidé les fondements de sa théorie (De la Poésie scientifique (1909), La Tradition de poésie scientifique (1920)), il a même eu la satisfaction de voir naître les premiers travaux universitaires issus de sa conception de la poésie (C-A.
; et dans ces pays où son genre d’études était peu goûté, il s’estimait comme Ovide au milieu d’une terre barbare.