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915. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Nouvelle correspondance inédite de M. de Tocqueville (suite et fin.) »

A mesure que la fatigue des dernières années cessera de se faire sentir, on verra les passions politiques renaître ; et si, pendant le temps où il est fort, le Gouvernement n’a pas redoublé de prudence et ménagé avec grand soin toutes les susceptibilités de la nation, on sera tout surpris de voir quel orage se soulèvera tout à coup contre lui. […] Ce ne sont pas les seules passions anarchiques qui renversent les trônes : cela ne s’est jamais vu ; ce sont ces mauvais sentiments s’appuyant sur de bons instincts. […] Le radicalisme s’appuie momentanément sur l’orgueil national blessé : cela lui donne une force qu’il n’avait point eue. » Il se range, dès ce moment, dans l’Opposition, dans une Opposition « non démagogique, mais cependant très-ferme » ; et la raison qu’il en donne, c’est que « l’on n’a quelque chance de maîtriser les mauvaises passions du peuple qu’en partageant celles qui sont bonnes. » Cette chance, il l’aura très-peu pour son compte et n’acquerra jamais aucun ascendant à distance. […] Ici il n’y a pas de quoi s’offenser : c’est l’auteur même qui parle, qui se démontre, et la dissection ne porte que sur les procédés de l’intelligence ; ce que l’auteur ajoute sur sa disposition morale est digne de ce qui précède, et résume nettement sa profession de foi politique : « J’ai l’orgueil de croire que je suis plus propre que personne à apporter dans un pareil sujet une grande liberté d’esprit, et à y parler sans passion et sans réticence des hommes et des choses : car, quant aux hommes, quoiqu’ils aient vécu de notre temps, je suis sûr de n’avoir à leur égard ni amour ni haine ; et quant aux formes des choses qu’on nomme des constitutions, des lois, des dynasties, des classes, elles n’ont point, pour ainsi dire, je ne dirai pas de valeur, mais d’existence à mes yeux, indépendamment des effets qu’elles produisent.

916. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Discours préliminaire » pp. 25-70

Quand on a voulu donner une idée de la vie à venir, on a dit que l’esprit de l’homme retournerait dans le sein de son Créateur ; c’était peindre quelque chose de l’émotion qu’on éprouve, lorsque après les longs égarements des passions, on entend tout à coup cette magnifique langue de la vertu, de la fierté, de la pitié, et qu’on trouve encore que son âme entière y est sensible. […] La vertu devient alors une impulsion involontaire, un mouvement qui passe dans le sang, et vous entraîne irrésistiblement comme les passions les plus impérieuses. […] Ceux qui se livrent à l’étude des sciences positives, ne rencontrant point dans leur route les passions des hommes, s’accoutument à ne compter que ce qui est susceptible d’une démonstration mathématique. […] Les passions seules attachent fortement à l’existence, par l’ardente volonté d’atteindre leur but ; mais cette vie consacrée aux plaisirs, amuse sans captiver ; elle prépare à l’ivresse, au sommeil, à la mort.

917. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CXLIXe entretien. De la monarchie littéraire & artistique ou les Médicis (suite) »

XVII L’esprit humain, ébranlé par les grandes catastrophes de l’Orient et par la ruine des ruines de la Grèce à Athènes et à Constantinople, avait la passion de se reconstruire de ses propres débris ; c’était ce qu’on appelle une renaissance. La passion universelle poussait les hommes vers cette reconstruction d’une humanité transcendante. […] C’était une illusion, si vous voulez, mais de temps en temps l’humanité est saisie d’une de ces manies générales qui deviennent la passion du moment ; la plus populaire est celle qui la sert le mieux. Les Médicis, bourgeois de Toscane, ayant acquis de grandes richesses, les consacrèrent à seconder et à semer cette passion à Florence, à Naples, à Venise ; ils devinrent ainsi les apôtres de la renaissance, Évangile nouveau qui s’associait bien avec l’Évangile romain.

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