Dans ces divers traités de savoir-vivre et de politesse, si on les rouvre dans les âges suivants, on découvre à première vue des parties qui sont aussi passées que les modes et les coupes d’habit de nos pères ; le patron évidemment a changé. […] Si, en les lisant aujourd’hui, on est frappé de l’excessive importance accordée à des particularités accidentelles et passagères, à de purs détails de costume, on n’est pas moins frappé de la partie durable, de celle qui tient à l’observation humaine de tous les temps ; et cette dernière partie est beaucoup plus considérable qu’on ne le croirait d’après un premier coup d’œil superficiel. […] En 1744, âgé de cinquante ans seulement, son ambition politique semblait déjà en partie usée ; sa santé était assez atteinte pour qu’il eût de préférence en vue la retraite. […] Un tel jugement est souverainement injuste, et si Chesterfield, dans le cas particulier, insiste tant sur les grâces des manières et sur l’agrément à tout prix, c’est qu’il a déjà pourvu aux parties plus solides de l’éducation, et que son élève n’est pas en danger du tout de pécher par le côté qui rend l’homme respectable, mais bien par celui qui le rend aimable.
Diderot, qui venait de faire une partie de piquet avec elle au Grandval, chez le baron d’Holbach, où elle était allée dîner (octobre 1760), écrivait à une amie : « Mme Geoffrin fut fort bien. […] Mme Geoffrin hérita donc en partie du salon et du procédé de Mme de Tencin ; mais, en contenant son habileté dans la sphère privée, elle l’étendit singulièrement et dans une voie tout honorable. […] Vers la fin ce salon voit se former, en émulation et un peu en rivalité avec lui, les salons du baron d’Holbach, de Mme Helvétius, en partie composés de la fleur des convives de Mme Geoffrin, et en partie de quelques têtes que Mme Geoffrin avait trouvées trop vives pour les admettre à ses dîners. […] En un mot, elle continue de représenter l’esprit déjà philosophique, mais encore modérateur, de la première partie du siècle, tant qu’il n’avait pas cessé de reconnaître de certaines bornes.
Bazin sont (je les range par ordre d’intérêt et d’importance) : 1º Une Histoire de France sous Louis XIII et sous le ministère du cardinal Mazarin, grande composition qui parut en deux parties, les quatre volumes qui traitent de Louis XIII en 1838, et les deux qui traitent de Mazarin, en 1842. […] Il remarque que nulle part il ne se rencontre plus de cordialité, plus de facilité de commerce et d’égalité véritable qu’entre avocats : « Nulle part, dit-il, la réputation, l’âge, le talent, ne font moins sentir leur supériorité et n’exigent moins de déférence que dans cette corporation singulière où les relations sont presque toujours hostiles. » Pourtant, avec tous les mérites solides et fins qu’il allait posséder, et en partie à cause de ces mérites mêmes, il manquait de ce qui procure le succès au barreau ; quand il avait donné les bonnes raisons en bons termes, il ne savait pas se répéter et au besoin en trouver d’autres : Le juge y compte, dit-il malicieusement ; et peut-être l’avocat qui serait le plus disposé à s’en corriger, est-il obligé de reproduire une seconde série des mêmes raisonnements, quand il voit que le tribunal n’a pas écouté la première. […] Il y avait aussi du Chamfort en lui, mais tout cela plus raffiné, ou du moins plus rentré ; une partie de ses traits se retournait sur lui-même et ne sortait pas. […] J’insiste sur la date, parce qu’en relisant ces volumes, ceux qui les ont le plus goûtés dans leur primeur les trouveront un peu vieillis et déjà en partie passés. […] Il m’eût été facile de donner de lui un portrait en apparence plus favorable de tout point, et aussi plus effacé ; mais je crois que la plus grande faveur qu’on puisse faire à un homme distingué et qui a de belles et hautes parties, le plus vrai service à rendre à sa mémoire d’homme de Lettres, c’est-à-dire d’homme qui veut, en définitive, qu’on se souvienne de lui, c’est de le montrer le plus au vif qu’on peut, et le plus saillant dans les lignes de la vérité.