Nous ne connaissons point de mot de sentiment plus délicat que celui-ci : « Mon bonheur eût été d’être aimé aussi bien que d’aimer, car on veut trouver la vie dans ce qu’on aime. » C’est encore saint Augustin qui a dit cette parole : « Une âme contemplative se fait à elle-même une solitude. » La Cité de Dieu, les épîtres et quelques traités du même Père, sont pleins de ces sortes de pensées. […] Je crains bien qu’une tête couverte de réseaux de perles et de diamants, ne laisse aucune place à l’épée186. » Ces paroles, adressées à des femmes qu’on conduisait tous les jours à l’échafaud, étincellent de courage et de foi.
Voici par exemple, chez un orateur, le geste, qui rivalise avec la parole. Jaloux de la parole, le geste court derrière la pensée et demande, lui aussi, à servir d’interprète. […] Un philosophe contemporain, argumentateur à outrance, auquel on représentait que ses raisonnements irréprochablement déduits avaient l’expérience contre eux, mit fin à la discussion par cette simple parole : « L’expérience a tort. » C’est que l’idée de régler administrativement la vie est plus répandue qu’on ne le pense ; elle est naturelle à sa manière, quoique nous venions de l’obtenir par un procédé de recomposition. […] Ici c’est un orateur dont les plus belles périodes sont coupées par les élancements d’une dent malade, ailleurs c’est un personnage qui ne prend jamais la parole sans s’interrompre pour se plaindre de ses souliers trop étroits ou de sa ceinture trop serrée, etc. […] D’ordinaire, c’est dans le rythme de la parole que réside la singularité physique destinée à compléter le ridicule professionnel.
L’idée que Charron exprime dans les paroles que nous avons citées, est plus spécieuse. […] Et, apres l’avoir entendu parler, adjousta foy à ses paroles. […] Nous ne sommes hommes, et ne nous tenons les uns aux aultres, que par la parole. […] J’y trouve des paroles plus fortes que toutes celles dont je me suis servi, paroles tellement fortes que si le Nouveau Testament ne les avait pas dites, personne n’oserait les prononcer. […] Alors l’autorité, c’est-à-dire le droit ou la faculté dont jouit un être raisonnable d’être cru sur parole, était le fondement principal de toutes les croyances.