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1117. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Léon Gozlan » pp. 213-230

Journalistes, chroniqueurs, tous les jaseurs de la publicité en ont déjà parlé, et vont continuer d’en parler pendant bien deux jours, de cet homme si peu fait pour être populaire, et dont ils ne disaient guères mot de son vivant. […] Il n’y parlait point ambitieusement, ni par nappes ; il ne tirait point à lui toute la couverture de la conversation. […] Mais alors pourquoi vouloir en parler ?… C’est qu’il n’en parlait que pour obtenir des effets d’artiste.

1118. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « L’Abbé Prévost et Alexandre Dumas fils » pp. 287-303

L’homme — pour parler comme parlerait Dumas — souille, use et fait crever la femme, et la femme le lui rend. […] Cette fille de dix-sept ans, qu’il faudrait surveiller, car elle a des accrocs déjà à son tour de gorge, et qu’on envoie au couvent pour lui dompter le tempérament, s’en va par les coches, avec un domestique, parle avec le premier venu dans les cours d’auberge, et soupe avec ce premier venu, le même soir ! […] Un autre jour, quand il faut sortir de Saint-Lazare, Desgrieux, qui appelle rompre ses fers casser la tête d’un portier d’un coup de pistolet, trouve un supérieur d’une bénignité si charmante que ni dans le moment, ni plus tard dans le cours du roman, car Desgrieux continue de cultiver cet aimable supérieur, il ne lui parle de cette bagatelle d’une cervelle de portier brûlée sous ses yeux ! […] comparez Esther, Josepha, madame Marneffe, et toutes les grandes coquines de Balzac, à cette misérable Manon Lescaut, qui n’est qu’une copie, dit Dumas, quand elle devrait être une création, et ne parlons plus jamais de cette coquinette !

1119. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Le Comte de Gobineau »

— qui n’avait que des monosyllabes quand il parlait, n’écrivait pas de son vivant, et ce fut sa gloire et presque son esprit… Il avait des secrétaires, même pour ses billets du matin ; et si ses Mémoires ne sont pas une mystification dernière, qu’on se rappelle qu’il leur infligea diplomatiquement trente ans de silence avant de paraître. […] Gobineau, qui pense, et avec juste raison, qu’on ne peut plus s’intéresser à l’histoire de la décrépitude et de l’avilissement continu des peuples actuels, et que le seul intérêt et le seul mérite appartiennent à quelques individualités supérieures, — étoiles (pour parler son langage) pointant encore dans un firmament dévas té, — nous a fait un livre à plusieurs héros, dont il a décrit les passions et développé les caractères. […] Je parle de l’intérét qui vient de l’ensemble du livre ; je ne parle pas de l’intérêt spécial, individuel, détaché de chaque histoire de ce Décameron d’histoires, quoique cet intérêt-là l’auteur l’ait bien dispersé en l’étendant à plusieurs héros placés tous au même plan, en un parallélisme qui leur fait tort les uns aux autres, dans ce livre sans perspective, sans hiérarchie, sans unité ; car toute hiérarchie bien faite s’achève et se couronne par l’unité, tout ce qui n’est pas unitaire dans les œuvres ou les institutions des hommes, tout ce qui s’y rencontre de multiple étant anarchique en plus ou en moins. […] Je l’ai dit : au point de vue de la Critique littéraire et de la construction de l’ensemble, c’est un livre mal fait ; il n’en faut plus parler.

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