Laissons la part due à tout ce que vous voudrez reconnaître de mystérieux et d’invisible dans ces opérations du dedans, même à ce qu’on appelle la grâce ; laissons sa part au vénérable duc de Beauvilliers, gouverneur excellent ; mais, entre les instruments humains, à qui donc fera-t-on plus large part qu’à Fénelon, à celui qui, de près comme de loin, ne cessa d’influer directement sur son élève, de lui inculquer, de lui insinuer cette maxime de père de la patrie, « qu’un roi est fait pour le peuple », et tout ce qui en dépend ? […] Bossuet aussi, de concert avec le duc de Montausier, a fait un élève, le premier Dauphin, père de ce même duc de Bourgogne ; c’est pour ce royal et peu digne élève qu’il a composé tant d’admirables écrits, à commencer par le Discours sur l’histoire universelle, dont jouit pour jamais la postérité. […] Parlant de certaines familiarités et de certaines caresses que fait, selon lui, le Père céleste aux âmes redevenues petites et simples, Fénelon, par exemple, dira : « Il faut être enfant, ô mon Dieu, et jouer sur vos genoux pour les mériter. » Des théologiens ont cherché querelle à ces expressions et à d’autres pareilles, au point de vue de la doctrine ; un bon goût sévère suffirait pour les proscrire. […] Fénelon ne s’en étonne point ; il ne blâme point ce père si attentif au solide établissement de sa fille ; il le loue et le remercie même de la netteté de son procédé : Pour votre ami, écrit-il à Destouches, je vous conjure de ne lui savoir aucun mauvais gré de son changement ; son tort est tout au plus d’avoir trop espéré d’un appui fragile et incertain ; c’est sur ces sortes d’espérances incertaines que les sages mondains ont coutume de hasarder certains projets.
Ce premier roi de Prusse, par toute sa vie de vaine pompe et d’apparat, disait, sans le savoir, à sa postérité : « J’ai acquis le titre, et j’en suis fier ; c’est à vous de vous en rendre dignes. » Le père de Frédéric, dont son fils, si maltraité par lui, a si admirablement parlé, et dans un sentiment non pas filial, mais vraiment royal et magnanime, ce père grossier, économe, avare, bourreau des siens et idolâtre de la discipline, cet homme de mérite pourtant, qui « avait une âme laborieuse dans un corps robuste », avait rendu à l’État prussien la solidité que l’enflure et la vanité du premier roi lui avaient fait perdre. […] Dans le portrait de son aïeul, le premier Frédéric, fils du Grand Électeur, et si peu semblable à son père, il dira pour marquer le faste de ce roi de la veille, qui n’avait pas moins de cent chambellans : « Ses ambassades étaient aussi magnifiques que celles des Portugais. » Son jugement des hommes est profond et décisif. […] Tout à côté des mesures et des calculs dictés par une hardiesse prévoyante, il reconnaît ce qu’il doit à « l’occasion, cette mère des grands événements », et il est soigneux de faire en toute rencontre la part de la fortune : Ce qui contribua le plus à cette conquête, dit-il, c’était une armée qui s’était formée pendant vingt-deux ans par une admirable discipline ; et supérieure au reste du militaire de l’Europe (remarquez l’hommage à son père) ; des généraux vrais citoyens, des ministres sages et incorruptibles, et enfin un certain bonheur qui accompagne souvent la jeunesse et se refuse à l’âge avancé. […] Frédéric est d’ailleurs dans le vrai du cœur humain, dans la réalité de l’observation morale et de la prophétie pratique, quand il ajoute : Le temps, qui guérit et qui efface tous les maux, rendra dans peu sans doute aux États prussiens leur abondance, leur prospérité et leur première splendeur ; les autres puissances se rétabliront de même ; ensuite d’autres ambitieux exciteront de nouvelles guerres et causeront de nouveaux désastres ; car c’est là le propre de l’esprit humain, que les exemples ne corrigent personne ; les sottises des pères sont perdues pour leurs enfants ; il faut que chaque génération fasse les siennes.
Marie-Françoise-Sophie Nichault de Lavalette, née à Paris, le 1er juillet 1776, d’un père homme de finances, attaché à la maison de Monsieur (depuis Louis XVIII), et d’une mère très belle, dont la ressemblance avec Mlle Contat était frappante, reçut une très bonne éducation, une instruction très soignée, et se fit remarquer tout enfant par la gaieté piquante et la promptitude de ses reparties. […] Léonie a seize ans ; orpheline de sa mère, elle a été élevée au couvent ; elle en sort ramenée par son père, M. de Montbreuse, qui va songer à l’établir. […] voilà, dit-elle, tout le secret des chagrins de ma vie. » Arrivée chez son père, Léonie voit une tante, Mme de Nelfort, bonne personne, mais très exagérée, et qui a pour fils un Alfred, joli garçon, étourdi, dissipé, un peu fat déjà et lancé dans les aventures à la mode, colonel, je le crois, par-dessus le marché ; car la scène se passe dans l’Ancien Régime et à une date indécise. […] Elle finit par l’épouser sans qu’Alfred en souffre trop ; et la morale du roman, cette fois excellente, c’est que, « de tous les moyens d’arriver au bonheur, le plus sûr (pour une jeune fille qui sort du couvent) est celui que choisit la prévoyante tendresse d’un père ».