Töpffer était né peintre, paysagiste, et son père l’était ; mais, forcé par les circonstances, et surtout par le mauvais état de sa vue, de se détourner de l’expression directe que réclamait son talent et où le conviait l’exemple paternel, il n’y revint que moyennant détour, à travers la littérature et plume en main : cette plume lui servit à deux fins, à écrire des pages vives et à tracer, dans les intervalles, des dessins pleins d’expression et de physionomie. […] Quant à la peinture proprement dite et par le pinceau, ce ne fut que sur la fin du xviiie siècle que de La Rive et, après lui, Töpffer le père, commencèrent à rendre le paysage suisse, savoyard, de la zone inférieure dans sa grâce et sa poésie familière ; « les masures de Savoie avec leur toiture délabrée et leur portail caduc ; les places de village où jouent les canards autour des flaques ; les fontaines de hameau où une fille hâlée mène les vaches boire ; les bouts de pré où paît solitaire, sous la garde d’un enfant en guenilles, un taureau redoutable » ; puis les marchés, les foires, les hôtelleries ; les attelages poudreux avec le chien noir qui court devant ; les rencontres de curés, de noces, de marchands forains ; les manants de l’endroit avinés et rieurs, « amusants de rusticité ». […] Douze ans après, au lit de mort lui-même, et durant sa dernière maladie, Töpffer revenait sur cette méditation, sur cette énigme de la destinée, dont il avait désormais une pleine conscience, et il la dénouait, selon sa mesure, en homme de famille, en époux et en père, pieux, résigné et saignant : « Renoncer au monde, si l’on prend le précepte à la lettre, disait-il, c’est fausser sa destinée en dépravant sa nature. Renoncer au monde, si l’on prend le précepte dans son esprit, c’est faire en toutes choses une part à la vie et une part à la mort, et cela jusqu’au dernier soupir. » — Dans la première partie de son explication, Töpffer n’a pas assez senti, je le crains, tout le mystère de la vie cachée, de la vie des antiques ermites et des Pères du désert ; mais il est impossible de mieux faire la part de l’homme de la société et du père de famille mourant.
Son père, célèbre par de savants ouvrages, était de plus un homme d’esprit qui savait la Cour et les boudoirs. […] Si monsieur votre père est le favori d’Esculape, vous l’êtes d’Apollon. […] M. de Meilhan était de ceux qui ne craignaient pas le grand jour ; à la mort de Louis XV, il semble s’être dit : « Mon père était le premier médecin du feu roi, je serai le premier médecin de la France. » Il avait des appuis en cour, et, sous le ministère de la Guerre de M. de Saint-Germain, il fut appelé à une place de création extraordinaire, celle d’intendant général de la guerre et des armées du roi. […] Il n’est ni magistrat, ni financier, ni père de famille, ni mari ; il est homme du monde. […] Sa société même ignorait qu’il était aïeul, époux, père : qu’était-il donc à leurs yeux ?
Son père, entré en qualité de doyen des conseillers au parlement de Metz, qui était de création nouvelle, laissa ses enfants aux soins d’un frère qui était conseiller au parlement de Dijon. […] On sait que, prôné à l’hôtel de Rambouillet par le marquis de Feuquières, qui avait connu son père à Metz et qui étendait sa bienveillance sur le fils, le jeune Bossuet y fut conduit un soir pour y prêcher un sermon improvisé. […] Il commence par montrer Jésus attendri au moment où il rentre dans la cité qui va le trahir, et pleurant sur Jérusalem ; puis il le montrera irrité et implacable, se vengeant ou laissant son Père le venger sur les murailles et sur les enfants de cette même Jérusalem. […] Il commence avec grandeur et par une large similitude : Comme on voit que de braves soldats, en quelques lieux écartés où les puissent avoir jetés les divers hasards de la guerre, ne laissent pas de marcher dans le temps préfix au rendez-vous de leurs troupes assigné par le général ; de même, le Sauveur Jésus, quand il vit son heure venue, se résolut de quitter toutes les autres contrées de la Palestine par lesquelles il allait prêchant la parole de vie ; et sachant très bien que telle était la volonté de son Père qu’il se vînt rendre dans Jérusalem, pour y subir peu de jours après la rigueur du dernier supplice, il tourna ses pas du côté de cette ville perfide, afin d’y célébrer cette Pâque éternellement mémorable et par l’institution de ses saints mystères et par l’effusion de son sang. Et c’est alors que, tandis que Jésus descend le long de la montagne des Olives, il le présente touché au vif dans son cœur d’une tendre compassion, et pleurant sur la ville ingrate dont il voit d’avance la ruine ; puis, tout d’un coup, sans transition et par une brusque saillie qui peut sembler d’une érudition encore jeune, Bossuet s’en prend à l’hérésie des marcionites qui, ne sachant comment concilier en un seul Dieu la bonté et la justice, avaient scindé la nature divine et avaient fait deux Dieux : l’un purement oisif et inutile à la manière des épicuriens, « un Dieu sous l’empire duquel les péchés se réjouissaient », le Dieu qu’on a nommé depuis des bonnes gens ; et, en regard de ce Dieu indulgent à l’excès, ils en avaient forgé un autre tout vengeur, tout méchant et cruel : et aussi, poussant à bout la conséquence, ils avaient imaginé deux Christs à l’image de l’un et de l’autre Père.