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724. (1863) Cours familier de littérature. XV « XCe entretien. De la littérature de l’âme. Journal intime d’une jeune personne. Mlle de Guérin (3e partie) » pp. 385-448

Je l’ignore. » Elle confie son père, sa cage d’oiseaux, son chien à sa sœur : rien n’est oublié. […] XX Mais vous qui vivez à la campagne, soit dans le château démantelé de vos pères, non loin de l’église du village et des pauvres du hameau, soit dans la maison modeste, château nivelé de l’honnête bourgeoisie du dix-neuvième siècle, élevant là des fils, des filles, des sœurs étagées par rang d’âge dans la vie, qui vous demandent des livres à la fois intéressants et sains, où respirent dans un style enchanteur toutes les vertus que vous cherchez à nourrir dans votre jeune tribu ; vous qui, après une existence laborieuse, vous êtes retirés à moitié de la vie active dans le verger de vos pères pour y soigner les plantes naissantes destinées à vous remplacer sur la terre, et qui voulez les saturer de bonne heure de ce bon air vital plein des délicieuses senteurs de l’air ; enfin vous qui, déjà vieillis et désintéressés de votre propre existence prête à finir, voulez cependant jeter un dernier regard consolant sur les péripéties intérieures de ceux qui traversent les sentiers que vous avez traversés, afin d’y retrouver vos propres traces et de vous dire : « Voilà ce que j’ai éprouvé, pensé, senti, prié dans mes moments de tristesse ou de consolation ici-bas ; voilà la moisson en gerbes odorantes que j’emporte à l’autre vie » ; mettez à part, ou plutôt gardez jour et nuit sur votre cheminée, comme un calendrier du cœur, non pas ce livre confus où l’on a entassé pêle-mêle les œuvres du frère et de la sœur pour que le génie de l’une fit passer sur la médiocrité de l’autre, mais le volume de Mlle de Guérin, cette sainte Thérèse de la famille, qui n’a écrit que pour elle seule, et dont une amitié longtemps distraite n’a recueilli que bien tard les chefs-d’œuvre involontaires qu’elle oublia de brûler au dernier moment. […] XXI Voulez-vous connaître, à travers les murs, la vie recueillie de ces pauvres manoirs qui ont gardé loin du monde les oubliés du nouveau siècle, comme les coquillages des mers de l’Ouest gardent entre leurs écailles, concassées par le flux et reflux de l’élément des tempêtes, les animalcules rejetés par les flots et endormis sur quelques grèves isolées de vos rivages ? […] Figurez-vous tout ce qu’il y a de naïf dans l’enfant, d’aimant dans la jeune vierge, de tendre dans la fille, de dévoué dans la sœur, d’affectueux dans l’amie, de religieux dans le sentiment, de pittoresque dans le coup d’œil, de délicat dans la perception, de nouveau dans le sens des choses morales et des paysages, sortant sans prétention, sans étude et sans effort, pendant vingt ans, d’une âme qui s’oublie elle-même pour se révéler à son Dieu, et qui trouve des accents, des images, des soupirs, des hymnes, comme l’éclair trouve son chemin dans les nuages, et comme l’abeille trouve son parfum dans les bouquets du printemps sur l’océan de fleurs de la prairie : voilà ce style !

725. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série «  Leconte de Lisle  »

Il ne faut pas oublier que Leconte de Lisle est né à l’île Bourbon et qu’il y a passé son enfance. […] Mais, d’autre part, il fut séduit par le pittoresque et la variété plastique de l’histoire humaine, par les tableaux dont elle occupe l’imagination au point de nous faire oublier nos colères et nos douleurs. […] Tous trois souffrent et voudraient oublier. […] Mais cela est oublié lorsqu’on atteint aux templa serena.

726. (1914) Enquête : Les prix littéraires (Les Marges)

Chamfort qui s’en moquait en vécut ; Rivarol les rechercha, et n’oublions jamais que si la Bérénice de Racine est un chef-d’œuvre écrit sur commande, le discours de Rivarol sur l’Universalité de la langue française a été écrit en vue d’un prix littéraire. […] En attendant, d’ailleurs, que ce public, presque toujours trempé par les jurys, lassé en outre de cette succession de fusées qu’on lui fait partir dans les yeux, enfin manquant d’une critique forte, qui sache lui imposer d’autres auteurs que des lauréats, ne se hâte d’oublier le vainqueur du jour, comme il a oublié les précédents, et retourne, l’oreille basse, à ses bazinoires. […] — J’oubliais votre deuxième question : la façon la plus sage de venir en aide aux jeunes écrivains est de les empêcher d’écrire.

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