Faut-il être étonné qu’un courtisan aussi galant que Voltaire ait oublié le père Porée pour madame de Pompadour ? […] Or il est certain que Châtillon, Nérestan, Lusignan, la reconnaissance des enfants de celui-ci, font entièrement oublier Orosmane et son amour ; en sorte que le drame recommence pour ainsi dire au troisième acte. […] Falkener, négociant anglais : le philosophe oublia qu’il était citoyen ; un Français ne devait point offrir à un étranger l’hommage de son talent. […] Lambertini, flatté de l’hommage que lui fait de sa tragédie le plus fameux écrivain, l’esprit le plus brillant qu’eût alors la France, encore plus flatté du distique, oublie que la main qui l’a tracé a composé une foule d’autres vers bien moins édifiants ; il oublie tout ce qui pouvait détourner un chef de l’Église romaine d’accepter une pareille dédicace de la part d’un homme tel que Voltaire. […] À vingt ans, il fit un Œdipe fort supérieur à celui de Corneille ; à cinquante-cinq, il composa un Oreste qui n’a point fait oublier l’Électre de Crébillon.
N’oublions point du reste que l’intrigue n’est pas plus essentielle que les caractères à la vraie comédie. […] Je veux bien que ce mariage s’accomplisse, mais n’oubliez pas que vous vous êtes engagé à prendre ma fille sans dot81. » Il y a plusieurs traits assez délicats dans la peinture du caractère de Chrysale ; lorsqu’après avoir fait le brave contre sa femme en l’absence de celle-ci, il s’écrie à son aspect : « Secondez-moi bien tous82 ! […] N’oublions pas que la comédie latine n’est qu’une image effacée et défigurée de la comédie grecque86. […] sans doute, le combat ne peut manquer d’être fort plaisant entre l’amour et l’avarice, entre la plus généreuse et la plus égoïste des passions ; mais on oublie une chose, c’est qu’un tel combat est impossible. […] car s’il oubliait un instant qu’elle est là, on entendrait sa voix importune s’élever dans la salle du festin.
La fontaine du Temple aurait bien pu sauter de vingt pieds pour saluer cette source d’espérance et de jeunesse qui glissait rayonnante dans les secs et poudreux canaux de la loi ; les moineaux bavards, nourris dans les crevasses et dans les trous du Temple, auraient pu se taire pour écouter des alouettes imaginaires au moment où passait cette fraîche petite créature ; les branches sombres, qui ne se courbaient jamais que dans leur chétive croissance, auraient pu s’incliner vers elle avec amour, comme vers une sœur, et verser leur bénédiction sur sa gracieuse tête ; les vieilles lettres d’amour enfermées dans les bureaux voisins, au fond d’une boîte de fer, et oubliées parmi les monceaux de papiers de famille où elles s’étaient égarées, auraient pu trembler et s’agiter au souvenir fugitif de leurs anciennes tendresses, quand de son pas léger elle s’approchait d’elles. […] S’il décrit une maison, il la dessinera avec une netteté de géomètre ; il en mettra toutes les couleurs en relief, il découvrira une physionomie et une pensée dans les contrevents et dans les gouttières, il fera de la maison une sorte d’être humain, grimaçant et énergique, qui saisira le regard et qu’on n’oubliera plus ; mais il ne verra pas la noblesse des longues lignes monumentales, la calme majesté des grandes ombres largement découpées par les crépis blancs, la joie de la lumière qui les couvre, et devient palpable dans les noirs enfoncements où elle plonge, comme pour se reposer et s’endormir. […] Pour mieux faire voir l’objet qu’il montre, il en crève les yeux du lecteur ; mais le lecteur s’amuse de cette verve déréglée ; la fougue de l’exécution lui fait oublier que la scène est improbable, et il rit de grand cœur en entendant l’entrepreneur des pompes funèbres, M. […] Si parfois il oublie de donner les verges au prochain, s’il essaye de s’amuser, s’il se joue, il n’en est pas plus heureux. […] Le lecteur, saisi par cette logique, admire l’œuvre qu’elle a faite, et oublie de s’indigner contre le personnage qu’elle a créé ; il dit : le bel avare !