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422. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre quatrième »

C’est sans doute lorsqu’on vint le tenter d’en donner une édition complète, qu’effrayé de cet éclat, il fit ces vers, en manière de préface, pour cette édition qu’il ne devait pas voir : Si j’eusse osé penser qu’en ce temps-ci De tant d’esprits illustres eclairci On eust daigné recueillir et escrire Les tristes plaints de l’amoureux souci Que je faisois pour implorer merci De celle-là dont je n’eus que martire : J’eusse tâché de plus près à les dire D’un stile tel, qu’aucun les eust pu lire En patience et peut-estre en plaisir. […] En même temps le chef de la Pléiade développait dans d’ingénieuses théories les principes de l’Illustration, Du Bellay s’était borné à demander « une forme de poésie plus exquise. » Ronsard, après avoir osé nommer les genres, en donnait la poétique. […] Et pourtant il croyait y mettre du scrupule, et regrettait de ne pouvoir oser plus : Ah ! […] Pourquoi les érudits connaissent-ils seuls quelques poésies légères, spirituelles, délicates, d’un tour moins naïf que celles de Marot, mais plus élégant et, si j’ose le dire, plus distingué ?

423. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre sixième. »

C’est de cette sagesse. que la langue d’Amyot nous mit en possession au xvie  siècle, et le sentiment de cette acquisition fut si vif, que Montaigne parlant du Plutarque d’Amyot, put dire, au nom de tous ses contemporains : « Nous aultres ignorants estions perdus, si ce livre ne nous eust relevés du bourbier : sa mercy, nous osons à cett’heure et parler et escrire ; les dames en régentent les maistres d’eschole ; c’est nostre bréviaire133. » § III. […] Pour Amyot, il s’était borné au rôle de traducteur, montrant, il est vrai, ce que l’esprit français pouvait oser avec l’aide et, pour ainsi dire, sous le couvert de l’antiquité païenne ; du reste, ne donnant rien du sien, et ne mêlant aux pensées antiques aucune pensée qui lui fût propre. […] Quel était-il donc, pour oser se faire ainsi le terme de comparaison de tout ce qui avait vécu avant lui, pour contrôler par sa propre sagesse la sagesse ancienne, et moderne, et peser le genre humain à son poids ? […] Sans grammaires, sans règles, guidé par son instinct et par l’analogie, il osa tout pour exprimer sa pensée, et il traita la langue non comme l’héritage de tous, mais comme sa propriété personnelle.

424. (1888) Préfaces et manifestes littéraires « Romans et nouvelles » pp. 3-80

Ces pensées nous avaient fait oser l’humble roman de Sœur Philomène, en 1861 ; elles nous font publier aujourd’hui Germinie Lacerteux. […] cette pénalité du silence continu, ce perfectionnement pénitentiaire, auquel l’Europe n’a pas osé cependant emprunter ses coups de fouet sur les épaules nues de la femme, cette torture sèche, ce châtiment hypocrite allant au-delà de la peine édictée par les magistrats et tuant pour toujours la raison de la femme condamnée à un nombre limité d’années de prison, ce régime américain et non français, ce système Auburn, j’ai travaillé à le combattre avec un peu de l’encre indignée qui, au xviiie  siècle, a fait rayer la torture de notre ancien droit criminel. […] Le public n’estime et ne reconnaît à la longue que ceux qui l’ont scandalisé tout d’abord, les apporteurs de neuf, les révolutionnaires du livre et du tableau, — les messieurs enfin, qui, dans la marche et le renouvellement incessants et universels des choses du monde, osent contrarier l’immuabilité paresseuse de ses opinions toutes faites. […] … Où est celui qui osera dire que ce n’est pas nous ?

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