/ 2969
648. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre XXI. Le littérateur chez les peintres » pp. 269-282

Bref il fait œuvre estimable d’historien ; même les qualités de perspicace, de connaisseur, aussi d’écrivain, qui lui sont nécessaires feraient de l’archéologue le plus désigné des critiques si sa familiarité avec, les œuvres anciennes ne le rendait un peu indulgent jusqu’aux plus inutiles copistes qu’il aime pour les originaux évoqués à sa mémoire érudite, conséquemment un peu sévère aux novateurs, et si ses habitudes scientifiques de travail complet où les œuvres sont étudiées non seulement morphologiquement, mais dès leurs genèses et jusqu’à leurs influences, ne lui interdisaient presque la besogne hâtive et jetée de la chronique salonnière. […] Ces délicats sont excusables d’être rebutés par les deux mille morceaux de peinture tombant à date fixe sur chaque salon, où les œuvres qu’ils préféreraient les attristent quand ils les découvrent dans leur lamentable entourage, à moins qu’ils ne parviennent pas à les découvrir parce qu’on les a juchées trop haut, ou, plus simplement, parce qu’on les a refusées. […] Et toutes les fâcheuses impressions que peuvent laisser des visites aux Champs de Mars ou Élysées ne tiennent pas contre ce bon raisonnement : il est louable de présenter gratuitement les œuvres des artistes au public à qui elles sont destinées.

649. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XXIII. Henry Gréville »

Les journaux, ces efféminés, qui ne demandent qu’à s’efféminer davantage, ont pris ses romans avec l’empressement qu’ils ont, en général, pour les œuvres des femmes, et d’ailleurs, disons-le pour les excuser, ces romans avaient un accent étranger, une saveur de terroir lointain, qui leur faisait une originalité, dans un temps où il n’y en a plus, ni petite ni grande… On jabotait que Mme Henry Gréville revenait de Russie. […] Je ferai tout à l’heure mes réserves sur la pureté de Mme Henry Gréville, que je trouve bien un peu mondaine ; mais toujours est-il qu’à cette heure ignoble de littérature stercoraire, les romans que voici, qui ne sont pas des œuvres très fortes, je le veux bien, mais d’agréables livres de femmes, — des espèces de petits flacons d’opopanax ou de lavande, — peuvent au moins nous désinfecter. […] Seulement, si l’œuvre n’est pas ce qu’elle aurait dû être, on voit — avec regret — ce qu’était primitivement la tête de la femme qui l’a conçue et la santé d’un esprit dans lequel la grande idée de la Chute et du Péché originel, si impopulaire et si insultée en ce temps de bâtardise et de révolte orgueilleuse, est restée debout, comme une colonne, dans le vide des autres idées écroulées, qui auraient pu la corroborer et la soutenir… II Mais cette tête que je crois née très bien faite, a été pétrie par le monde moderne qui l’a déformée et appauvrie. […] Et de cela, de cette mutilation de l’âme, ce n’est pas uniquement l’Expiation de Saveli qui en a souffert, c’est toutes les œuvres de Mme Henry Gréville, et celles-là aussi qui sont les plus réussies. […] Chassé-croisé de quatre personnes qui, séparées d’abord, vont ou s’en vont les attractions proportionnelles aux destinées, tout cela est arrangé avec l’œil de poudre russe que l’auteur met à toutes ses œuvres.

650. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « La Société française pendant la Révolution »

Frères par la pensée comme par le sang, espèces de Ménechmes littéraires, tellement semblables (du moins quand on les lit) qu’on ne sait plus où l’un finit et où l’autre commence, et qu’ils semblent n’avoir à eux deux qu’une seule plume et qu’un même cerveau, MM. de Goncourt, pleins de confiance en eux-mêmes, par amour fraternel sans doute, — ce qui les préserve de la fatuité, — se sont dit un beau jour, après avoir collectionné des anecdotes et jeté l’épervier dans les courants les plus ignorés du renseignement, qu’ils étaient en mesure d’écrire cette œuvre immense, de détails concentrés et d’ensemble, que l’on appelle l’histoire d’une société. […] C’est une poignée de philosophes sans patrie qui ont achevé dans l’opinion l’œuvre commencée par Louis XIV contre cette société qui n’est ni de Paris, ni de Versailles, et qui existait bien avant que Versailles fût bâti et que Paris lui succédât dans l’ardente et injuste préoccupation publique ! […] Assurément, s’ils avaient eu conscience de leur œuvre, s’ils l’avaient appelée du nom modeste qu’elle devait porter, nous n’eussions pas parlé si longtemps d’une production agréable à lire, mais sans valeur forte et déterminée. Un mot aurait suffi, et nous avons même pensé un instant à ne dire qu’un seul mot, mais nous nous sommes ravisés, et puisque ces MM. de Goncourt ont le bonheur d’être jeunes, le hasard d’avoir du talent… quelquefois, et le projet d’écrire encore une histoire de la société sous le Directoire, nous avons cru utile et sympathique de leur rappeler que pour une œuvre si sévère et si grande il faut étreindre comme on embrasse ; — qu’il faut plus que de lier ou d’éparpiller des glanes d’anecdotes et d’être, après coup, les Tallemant des Réaux proprets et fringants d’une époque dans laquelle on n’a pas même le privilège d’avoir vécu. […] Mémoires politiques et littéraires (Les Œuvres et les Hommes.

/ 2969