Cette recherche n’est point étrangère à la gloire de Racine, ni aux objets qui doivent nous occuper dans son éloge. […] Et dans Mithridate, quel art d’ennoblir les faiblesses d’une grande ame, et de répandre de l’intérêt sur un vieillard malheureux, occupé de vengeance et de haine, allant malgré lui chercher des consolations dans l’amour qui met le comble à tous ses maux ! […] Il s’occupait de l’éducation de ses enfans en homme qui connaît ses devoirs et qui les aime ; et avec quel plaisir on voit dans ses lettres l’auteur de Phèdre et d’ Athalie descendre aux derniers détails de la sollicitude paternelle !
Mais laissons toutes ces considérations et revenons à notre poète, pour ne plus nous occuper que de ses vers et de son talent. […] Ce qui leur manque, c’est le concours loyal, désintéressé de ceux il qui le public, trop occupé et trop affairé, a dévolu la charge de l’éclairer et de l’avertir, de faire pour lui le dépouillement des réputations, et qui, à force de lui crier au loup pour des ombres, finissent par l’endormir dans son indifférence. […] Charles Baudelaire, m’occuper de signaler et d’expliquer ce que je vois de beau et de rare dans son talent, plutôt que de perdre mon temps à relever des taches qu’on verra bien sans que je m’en mêle, et que la charité de tels de nos confrères saura merveilleusement faire valoir.
Résumons-nous : la physionomie littéraire de la France actuelle est caractérisée par trois grands traits : l’histoire, la philosophie, la haute poésie ; les premiers talents de prose et de vers de l’époque sont renfermés dans cette triple et large barrière ; et ces trois objets occupent presqu’exclusivement l’intérêt et la curiosité d’une jeunesse avide d’instruction et d’émotions. […] Assez longtemps, on nous a donné les mêmes tragédies sous des noms différents, assez longtemps, les continuateurs, exagérant ce qu’il y avait de défectueux dans nos chefs-d’œuvre sans en reproduire les beautés, nous ont montré des personnages antiques habillés à la moderne, ou des modernes parlant un vieux langage ; la tragédie française, d’imitation en imitation, est arrivée, à fort peu d’exceptions près, à ne plus être qu’un moule banal où l’on jette des entrées et des sorties extrêmement bien motivées, sans s’occuper de faire agir et parler les personnages d’une manière neuve et attachante. […] Nous manifestons notre sentiment sur l’état actuel de la littérature et de la poésie en France, parce qu’il nous semble que la plus faible voix peut lancer quelques paroles utiles ; du reste, nous ne parlons que d’après notre profonde conviction, sans nous occuper du plus ou moins de succès des ouvrages que nous estimons, sans chercher à flatter l’opinion de la foule ni même à nous mettre en opposition avec elle.