Il y avait en moi, dans ces années, un trop-plein de sensibilité et d’enthousiasme, un besoin d’admirer et de pousser à l’idéal chaque objet de mon culte, tellement qu’il n’aurait pas été inutile, pour continuer de paraître vrai, que l’objet disparût presque aussitôt, et moi-même peu après. […] Au fond, voyez-vous, c’est là ma prédilection secrète, mon courant caché ; et quand toutes mes digressions dans les bouquins me fournissent jour à un sonnet neuf, à un mot à bien encadrer, à un trait heureux dont j’accompagne un sentiment intime, je m’estime assez payé de ma peine ; et, en refermant mon tiroir à élégies, je me dis que cela vaut mieux après tout que tous les gros livres d’érudition, lesquels je veux pourtant faire de plus en plus profession d’estimer. — Mais, il faut en venir, mon cher Béranger, à l’objet de cette lettre.
Ainsi dans la tragédie, l’amour suit exactement la connaissance ; à mesure que la connaissance s’épuise, l’amour se transforme, et elle le porte d’objet en objet, du moins parfait au plus parfait. […] Les réalités intimes de l’âme ne sauraient être pour lui ni un objet, ni un moyen d’action. […] La comédie a changé de ton ; et, quelles que soient les mœurs, le goût lui impose sa forme et lui choisit ses objets. […] Et puis ce théâtre est, je ne dirai pas superficiel, car il ne laisse rien, il laisse même trop peu à ignorer sur son objet : c’est cet objet qui est, si je puis dire, superficiel. […] Il nous fait penser aux qualités du sujet plus qu’à la nature de l’objet.
Le génie seul, & le génie exercé sur de grands objets, ou sur des objets utiles, peut transmettre les Productions aux siecles à venir ; & ce rare présent n’est pas celui que la Nature a fait à M.