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288. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « La reine Marie Leckzinska (suite et fin.) »

Pour la rassurer, il lui faut toujours une de ses femmes à sa portée pendant la nuit, et il faut que cette femme lui fasse des contes pour l’endormir. […] Elle se lève cent fois dans une nuit pour chercher sa chienne. […] On piqua par cet endroit l’amour-propre du roi, et on refit en ce sens une troisième Journée des dupes, ou, si l’on veut, une Nuit des dupes. […] À deux mois de là Mme de Châteauroux était rappelée triomphalement ; elle mourut presque aussitôt, emportée d’une mort subite ; et comme cette bonne reine qui avait peur des revenants prit effroi dans la nuit qui suivit cette mort, et appela une de ses femmes en s’écriant : « Mon Dieu !

289. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Idées et sensations : par MM. Edmond et Jules de Goncourt. »

Voici un petit rêve d’élégie bien française, bien moderne, qui vaut certes toutes les réminiscences des Ovide et des Tibulle : c’est léger, délicat, d’une tendresse de dilettante, d’un regret de xviiie  siècle dans le xixe  ; un idéal rapide de bonheur d’après Fragonard et Denon : « J’ai toujours rêvé ceci, — et ceci ne m’arrivera jamais : Je voudrais, la nuit, entrer par une petite porte que je vois, à serrure rouillée, collée, cachée dans un mur ; je voudrais entrer dans un parc que je ne connaîtrais pas, petit, étroit, mystérieux ; peu ou point de lune ; un petit pavillon ; dedans, une femme que je n’aurais jamais vue et qui ressemblerait à un portrait que j’aurais vu ; un souper froid, point d’embarras, une causerie où l’on ne parlerait d’aucune des choses du moment, ni de l’année présente, un sourire de Belle au bois dormant, point de domestique… Et s’en aller, sans rien savoir, comme d’un bonheur où l’on a été mené les yeux bandés, et ne pas même chercher la femme, la maison, la porte, parce qu’il faut être discret avec un rêve… Mais jamais, jamais cela ne m’arrivera ! […] Ils sont bien des hommes de la fin du xviiie  siècle en cela ; mais ils sont tout à fait des artistes du xixe   par les touches successives du tableau et les nuances à l’infini : « Se trouver, en hiver, dans un endroit ami, entre des murs familiers, au milieu de choses habituées au toucher distrait de vos doigts, sur un fauteuil fait à votre corps, dans la lumière voilée de la lampe, près de la chaleur apaisée d’une cheminée qui a brûlé tout le jour, et causer là à l’heure où l’esprit échappe au travail et se sauve de la journée ; causer avec des personnes sympathiques, avec des hommes, des femmes souriant à ce que vous dites ; se livrer et se détendre ; écouter et répondre ; donner son attention aux autres ou la leur prendre ; les confesser ou se raconter ; toucher à tout ce qu’atteint la parole ; s’amuser du jour, juger le journal, remuer le passé comme si l’on tisonnait l’histoire ; faire jaillir, au frottement de la contradiction adoucie d’un : Mon cher, l’étincelle, la flamme, ou le rire des mots ; laisser gaminer un paradoxe, jouer sa raison, courir sa cervelle ; regarder se mêler ou se séparer, sous la discussion, le courant des natures et des tempéraments ; voir ses paroles passer sur l’expression des visages, et surprendre le nez en l’air d’une faiseuse de tapisserie ; sentir son pouls s’élever comme sous une petite fièvre et l’animation légère d’un bien-être capiteux ; s’échapper de soi, s’abandonner, se répandre dans ce qu’on a de spirituel, de convaincu, de tendre, de caressant ou d’indigné ; jouir de cette communication électrique qui fait passer votre idée dans les idées qui vous écoutent ; jouir des sympathies qui paraissent s’enlacer à vos paroles et pressent vos pensées comme avec la chaleur d’une poignée de main : s’épanouir dans cette expansion de tous et devant cette ouverture du fond de chacun ; goûter ce plaisir enivrant de la fusion et de la mêlée des âmes, dans la communion des esprits : la conversation, — c’est un des meilleurs bonheurs de la vie, le seul peut-être qui la fasse tout à fait oublier, qui suspende le temps et les heures de la nuit avec son charme pur et passionnant. […] Ainsi, dans Virgile, dans la ixe Églogue, quand les deux bergers chantent en marchant, l’un d’eux propose à l’autre de s’arrêter à mi-chemin en vue du tombeau de Bianor, ou bien, s’ils craignent que la pluie n’arrive au tomber de la nuit, de poursuivre leur route vers la ville en chantant toujours : Aut, si nox pluviam ne colligat ante, Veremur… « Si nous craignons que la nuit ne rassemble la pluie… » Quel mot plus juste !

290. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Victor Hugo — Victor Hugo, Les Chants du crépuscule (1835) »

C’est, comme l’indique le titre, une heure déjà assombrie, le déclin des espérances, le doute qui gagne, l’ombre allongée qui descend sur le chemin, et avec cela, à travers les aspects funèbres, des douceurs particulières comme il en est à cette heure charmante ; la nuit qui s’avance, mais la nuit que la tristesse aime comme une sœur. […] Le souffle harmonieux y sort comme une plainte vague, abondante ; la plainte monte à chaque stance comme une marée sans étoile sur quelque grève de Bretagne : Quand la nuit n’est pas étoilée, Viens te bercer aux flots des mers ; Comme la mort elle est voilée, Comme la vie ils sont amers.

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