Supposons cette cellule modifiée par une première sensation ; lorsqu’elle reviendra à l’état de repos, elle ne sera pas absolument dans le même état qu’elle était primitivement ; il restera quelque chose de l’impression première et une tendance à la reproduire de nouveau. Supposons qu’une nouvelle impression se produise, la cellule est de nouveau excitée et modifiée ; mais cette modification portant sur une chose déjà modifiée, ne sera pas exactement la même qu’elle eût été si la cellule était absolument vierge. […] La cellule est ébranlée de nouveau.
I Ces deux têtes dans un bonnet qu’on appelle d’un seul nom, fait avec les deux leurs, Erckmann-Chatrian, pour l’appeler comme ces deux têtes s’appellent, vient de publier de nouveaux Contes fantastiques. […] Il a la qualité la plus aimablement et la plus estimablement allemande : la cordialité ; et quand il aura vécu davantage, quand il aura éteint bien des tons crus qui lui restent, quoiqu’il ait déjà commencé de les adoucir, — car l’enlumineur de L’Illustre Docteur Mathéus a cédé la place au peintre dans les nouveaux Contes, — quand il aura passé sur les tableaux de genre, pour lesquels il nous semble fait, l’ombre enfumée de la délicieuse bonhomie, il aura atteint le vrai de son talent et acquis sa valeur plénière. […] Nous ne parlons pas du Sacrifice d’Abraham, une grande diablesse d’histoire dont Rembrandt est le héros, laquelle n’a pas de raison pour être plutôt dans ce volume que dans tout autre volume de nouvelles, et qui en aurait une que je sais bien de n’y être pas… Enfin, dans les Contes de la montagne, où l’auteur se détire de son fantastique et commence de s’en dégager, vous ne trouverez que deux contes de cette espèce : Le Violon du pendu et L’Héritage de mon oncle Christian, aussi faibles d’ailleurs que tout le reste ; car pour le Conte qui a presque proportion de roman, et qui envahit, à lui seul, tout le volume, ce très beau Conte de Hugues-le-Loup, je ne le mets point parmi les tentatives fantastiques de l’auteur, malgré la donnée somnambulique qui en fait le dénouement et qui a été si rabâchée depuis Shakespeare, mais je le place plutôt parmi les autres récits, où le talent d’Erckmann-Chatrian, son talent réel et lumineux, — son talent antifantastique — s’est montré avec le plus de suite et d’éclats.
Leur esprit précisait, particularisait toujours, de sorte qu’à chaque changement dans la physionomie ils croyaient voir un nouveau visage, à chaque nouvelle passion un autre cœur, une autre âme ; de là ces expressions poétiques, commandées par une nécessité naturelle plus que par celle de la mesure, ora, vultus, animi, pectora, corda, employées pour leurs singuliers. […] Les héros, récemment sortis des géants, étaient au plus haut degré grossiers et farouches, d’un entendement très borné, d’une vaste imagination, agités des passions les plus violentes ; ils étaient nécessairement barbares, orgueilleux, difficiles, obstinés dans leurs résolutions, et en même temps très mobiles, selon les nouveaux objets qui se présentaient. […] L’héroïsme galant des modernes a été imaginé par les poètes qui vinrent bien longtemps après Homère, soit que l’invention des fables nouvelles leur appartienne, soit que les mœurs devenant efféminées avec le temps, ils aient altéré, et enfin corrompu entièrement les premières fables graves et sévères, comme il convenait aux fondateurs des sociétés.