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1066. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Florian. (Fables illustrées.) » pp. 229-248

Enfin, cette fête de nuit en l’honneur de Mlle Clairon se termine, dans le récit de Florian, par une très belle description de l’aurore, par un lever de soleil sur les cimes des Alpes, qui a frappé son imagination d’enfant : c’est le signal d’un sentiment tout nouveau, plein de fraîcheur, l’amour de la nature, qui va être la passion et presque l’engouement des générations naissantes. […] Grimm reconnaissait et accueillait ce caractère nouveau que l’auteur avait su donner au rôle d’Arlequin : « On est tenté de lui dire quelquefois : Vous êtes Arlequin, seigneur, et vous pleurez ! […] Il l’aborda de préférence par le genre des pastorales et des nouvelles, et lui emprunta Galatée (1783), qu’il traita avec liberté d’ailleurs, et qu’il accommoda selon le goût du temps, en y donnant une teinte plus récente de Gessner : « J’ai tâché, écrivait-il à ce dernier, d’habiller la Galatée de Michel Cervantes comme vous habillez vos Chloés : je lui ai fait chanter les chansons que vous m’avez apprises, et j’ai orné son chapeau de fleurs volées à vos bergères. » Ce roman pastoral, mêlé de tendres romances, réussit beaucoup : toutes les jeunes femmes, tous les amoureux en raffolèrent ; les sévères critiques eux-mêmes furent fléchis : « C’est un jeune homme d’un esprit heureux et naturel, écrivait La Harpe parlant de l’auteur de Galatée, et qui aura toujours des succès s’il ne sort pas du genre où son talent l’appelle. » Il est vrai que, peu de temps auparavant, le chevalier de Florian avait adressé au même M. de La Harpe des vers d’enthousiasme, au sortir de la représentation de Philoctète : Je ne sais pas le grec mais mon âme est sensible ; Et, pour juger tes vers, il suffit de mon cœur ! […] Florian allait volontiers, chaque été, passer quelques semaines d’un agrément toujours nouveau dans une habitation magnifique et délicieuse, qui appartenait à Mme de La Briche, belle-sœur de Mme d’Houdetot et belle-mère de M. le comte Molé, et que nous-même, dans son extrême vieillesse, nous avons eu l’honneur d’y voir encore.

1067. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Nouveaux documents sur Montaigne, recueillis et publiés par M. le docteur Payen. (1850.) » pp. 76-96

Nouveaux documents sur Montaigne, recueillis et publiés par M. le docteur Payen. […] Montaigne est maire ; Bordeaux, naguère agité, semble préluder à de nouveaux troubles ; le lieutenant pour le roi est absent. On est au mercredi 22 mai 1585 ; il est nuit, Montaigne veille, et il écrit au gouverneur de la province. » La lettre, qui est d’un intérêt trop particulier et trop local pour être insérée ici, peut se résumer en ces mots : Montaigne regrette l’absence du maréchal de Matignon et craint qu’elle ne se prolonge ; il le tient et le tiendra au courant de tout, et il le supplie de revenir aussitôt que les affaires le lui permettront : « Nous sommes après nos portes et gardes, et y regardons un peu plus attentivement en votre absence… S’il survient aucune nouvelle occasion et importante, je vous dépêcherai soudain homme exprès, et devez estimer que rien ne bouge si vous n’avez de mes nouvelles. » Il prie M. de Matignon de songer pourtant qu’il pourrait bien aussi n’avoir pas le temps de l’avertir, « vous suppliant de considérer que telle sorte de mouvements ont accoutumé d’être si impourvus que, s’ils devoient avenir, on me tiendra à la gorge sans me dire gare ». Au reste, il fera tout pour pressentir à l’avance les événements : « Je ferai ce que je pourrai pour sentir nouvelles de toutes parts, et, pour cet effet, visiterai et verrai le goût de toute sorte d’hommes. » Enfin, après avoir tenu le maréchal au courant de tout et des moindres bruits de ville, il le presse de revenir, l’assurant « que nous n’épargnerons cependant ni notre soin ni, s’il est besoin, notre vie pour conserver toutes choses en l’obéissance du roi ».

1068. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Armand Carrel. — I. » pp. 84-104

Cette sérénité trop passagère, cette liberté d’allure, dont il fit preuve quelque temps au milieu des luttes de chaque jour, s’altéra de nouveau en lui vers la fin, quand les difficultés de la situation devinrent plus fortes et que les gênes de toutes parts recommencèrent. […] Je lis, dans le numéro 10, un article de Carrel où, à l’occasion d’une brochure de M. de Stendhal (Beyle), il relève les légèretés de ce railleur, et venge la doctrine de ses nouveaux amis. […] MM. de La Fayette, d’Argenson et d’autres de la petite Église républicaine de la Restauration, eurent vers ce temps (1826) l’idée de fonder une Revue américaine, destinée à faire connaître et, s’il se pouvait, à faire admirer les républiques du nouveau continent, tant celles du Nord que celles du Sud et de l’Équateur. […] La fondation du National, en janvier 1830, allait élargir pour Carrel le nouveau champ d’action et de manœuvre où il essayait de se naturaliser ; mais ce ne fut point tout d’abord qu’il s’y sentit à l’aise, et il n’y eut point dès le premier jour ses coudées franches.

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