Je ne tiens qu’à bien faire comprendre et à bien décrire un personnage remarquable, et, malgré les restes de flamme qui peuvent s’attacher à son nom, à le mettre à son rang dans ce monde froid et durable où une critique respectueuse s’enquiert de tout ce qui a eu bruit et éclat parmi les hommes. […] Ce fut longtemps son rêve et finalement son regret ; il y revenait en idée dans les derniers temps, à travers les courts et sombres intervalles de réflexion que lui laissaient ses luttes de presse de plus en plus désespérées ; c’était à une telle œuvre qu’il aurait aimé à attacher la gloire de son nom. […] « D’un autre côté, si l’on s’imagine que les événements de Juillet n’ont fait autre chose que mettre un nom propre à la place d’un nom propre, une famille à la place d’une autre, … on se trompe d’une manière déplorable. » Ce n’est point là non plus sa solution.
Si on a souvent attaqué la liberté de penser comme complice du scepticisme, on l’a quelquefois aussi défendue au nom même du scepticisme. […] Combattre un calcul ou une expérience par un nom, par un texte, par une autorité, n’est plus dans nos mœurs, et l’on ne serait guère accueilli à l’Académie des sciences en invoquant l’autorité d’Aristote ou de saint Thomas contre une démonstration de Laplace ou d’Ampère ; mais il n’en a pas toujours été ainsi. […] Une vérité ne mérite pour moi ce nom que lorsqu’elle est telle à mes propres yeux, lorsque je me la suis appropriée par l’étude, par la discussion, par la démonstration, lorsque j’en ai trouvé l’es racines dans les principes de ma raison. […] Sans doute si l’on considère combien peu d’hommes dans une société, quelque civilisée qu’elle soit, méritent le nom d’hommes éclairés, combien peu même ont les connaissances strictement nécessaires, combien enfin les idées dans l’homme sont voisines des passions, on peut craindre que cette émancipation des esprits, cette rupture avec toute tradition, cet appel à la raison individuelle, cette liberté de penser en tous sens ne soit la source de bien des maux, et je reconnais qu’il faut avoir l’esprit ferme pour envisager sans terreur l’avenir inconnu vers lequel marche la société contemporaine.
Il n’est pas si aisé de se faire un nom par un ouvrage parfait, que d’en faire valoir un médiocre par le nom qu’on s’est déjà acquis. […] Si l’on ôte de beaucoup d’ouvrages de Morale l’Avertissement au Lecteur, l’épître dédicatoire, la préface, la table, les approbations, il reste à peine assez de pages pour mériter le nom de livre. […] Un bel ouvrage tombe entre leurs mains, c’est un premier ouvrage, l’auteur ne s’est pas encore fait un grand nom, il n’a rien qui prévienne en sa faveur, il ne s’agit point de faire sa cour ou de flatter les grands en applaudissant à ses écrits ; on ne vous demande pas, Zélotes , de vous récrier, C’est un chef-d’œuvre de l’esprit ; l’humanité ne va pas plus loin : c’est jusqu’où la parole humaine peut s’élever : on ne jugera à l’avenir du goût de quelqu’un qu’à proportion qu’il en aura pour cette pièce ; phrases outrées, dégoûtantes, qui sentent la pension ou l’abbaye, nuisibles à cela même qui est louable et qu’on veut louer : que ne disiez-vous seulement, Voilà un bon livre ; vous le dites, il est vrai, avec toute la France, avec les étrangers comme avec vos compatriotes, quand il est imprimé par toute l’Europe et qu’il est traduit en plusieurs langues ; il n’est plus temps.