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923. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre I. Les origines. — Chapitre II. Les Normands. » pp. 72-164

La sale chaumière enfumée, le noir château féodal, où tous, sauf le maître, couchent pêle-mêle sur la paille dans la grande salle de pierre, la pluie froide, la terre fangeuse rendent délicieux le retour du soleil et de l’air tiède. « L’été est venu. —  Chante haut, coucou !  […] Ses narines étaient larges et noires, et sa bouche large comme une fournaise. […] Il a songé « qu’il était dans un désert,  — il ne put jamais savoir en quel endroit,  — et comme il regardait en l’air,  — du côté du soleil,  — il vit une tour sur une hauteur,  — royalement bâtie,  — une profonde vallée au-dessous,  — et là-dedans un donjon,  — avec de profonds fossés noirs,  — et terribles à voir. » Puis, entre les deux, une grande plaine remplie de monde, « d’hommes de toutes sortes,  — pauvres et riches,  — travaillant et s’agitent,  — comme le veut le monde ; — quelques-uns à la charrue — labouraient avec un grand effort,  — pour ensemencer et planter,  — et peinaient durement,  — gagnant ce que des prodigues venaient détruire et engloutir164. » Lugubre peinture du monde, pareille aux rêves formidables qui reviennent si souvent chez Albert Durer et chez Luther ; les premiers réformateurs sont persuadés que la terre est livrée au mal, que le diable y a son empire et ses officiers, que l’Antechrist, assis sur le trône de Rome, étale les pompes ecclésiastiques pour séduire les âmes et les précipiter dans le feu de l’enfer. […] L’homme pense naturellement à la vie comme à un combat, plus souvent encore à la noire mort qui clôt cette parade meurtrière, et fait descendre tant de cavalcades empanachées et tumultueuses dans le silence et l’éternité du cercueil.

924. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre I. La Renaissance païenne. » pp. 239-403

Vers la vingtième année d’Élisabeth, les nobles quittent le bouclier et l’épée à deux mains pour la rapière238 : petit fait presque imperceptible, énorme cependant, car il est pareil au changement qui, il y a soixante ans, nous a fait quitter l’épée de cour pour nous laisser les bras ballants dans notre habit noir. […] À présent que la hache et l’épée des guerres civiles ont abattu la noblesse indépendante, et que l’abolition du droit de maintenance a ruiné la petite royauté solitaire de chaque grand baron féodal, les seigneurs quittent leurs noirs châteaux, forteresses crénelées, entourées d’eaux stagnantes, percées d’étroites fenêtres, sortes de cuirasses de pierre qui n’étaient bonnes qu’à garder la vie de leurs maîtres. […] Pour nous, mon cher ami, nous irons dans la vallée noire, où nous n’entendrons plus chanter Alleluia !  […] Inquiète et honteuse, elle s’en alla dans les bois déserts et s’assit en pleurant, « l’âme enveloppée dans un noir nuage de tristesse. » Cependant Vénus parcourait toute la terre, cherchant son fils Cupidon, qui s’était mutiné contre elle et avait fui au loin. […] Sous ces profondes cavernes d’érudition et de science, il en est une plus noire et plus inconnue que toutes les autres, comblée d’auteurs ignorés, de noms rébarbatifs, Besler de Nuremberg, Adricomius, Linschoten, Brocarde, Bredenbachius.

925. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLIVe entretien. Madame de Staël. Suite »

Sous la parure qu’elle portait d’ordinaire à la fois brillante et négligée, sous ce turban de couleur écarlate qui renfermait à demi ses épais cheveux noirs et s’alliait à l’éclat expressif de ses yeux, madame de Staël ne semblait plus la même personne : son visage était abattu et comme malade de tristesse. […] La seconde, un peu massive, un peu colorée, un peu virile pour une apparition, mais avec de grands yeux noirs et humides qui ruisselaient de flamme et de beauté, parlait avec une vivacité et avec des gestes qui semblaient accompagner de fortes pensées ; elle se soulevait en parlant comme si elle eût voulu s’élancer de la calèche ; ses cheveux, mal bouclés, s’épandaient au vent ; elle tenait dans sa main une branche de saule qui lui servait d’éventail contre le soleil de juin ; je ne vis plus qu’elle.

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