Quelle que soit leur nature dernière, nos idées nous paraissent être, de tous les phénomènes, les plus capables d’être modifiés, et de modifier tout le reste ; c’est sur la force et par la force des idées que nous croyons pouvoir le plus facilement agir, et cette croyance même facilite sans doute notre action. […] On sait que, suivant la nature des inventions qui font l’homme grand, cette action sera plus ou moins facile à saisir. […] Pour qu’une idée pénètre une société, il faut qu’il y ait, entre la nature de celle-là et la structure de celle-ci, une sorte d’harmonie préétablie.
……………………………………………… Ce furent de beaux lis qui, mieux que la nature, Mêlant à leur blancheur l’incarnate peinture Que tira de leur sein le couteau criminel, Devant que d’un hiver la tempête et l’orage À leur teint délicat pussent faire dommage, S’en allèrent fleurir au printemps éternel. […] Oui, Malherbe eût pu gâter La Fontaine dont le charmant mérite, au contraire, est d’avoir ce qui fait vivre la poésie, ce qui la rend toute moderne, toute française, toute familière et usuelle à chacun, pour la morale, pour les sentiments, pour les images puisées directement autour de lui, dans la campagne et dans la nature. […] Qui, vieil comme je suis, revint contre nature En sa jeune saison ! […] Malherbe a très-peu d’images empruntées directement à la nature ; c’est un citadin, un homme de cabinet. […] Et dans une chanson (1614), ce joli vers tout tiède de mai : L’air est plein d’une haleine de roses… Mais cet amour de la nature ne dure jamais longtemps chez Malherbe ; il n’a rien du promeneur solitaire ni du rêveur.
Elle rit de tout, et ne s’intéresse à rien ; elle touche à toutes les idées de la raison, et n’en épouse aucune ; elle joue avec toutes les passions de la nature humaine, et reste indépendante en face d’elles ; elle voltige d’objet en objet dans le monde réel et dans tous les mondes imaginaires, sans se poser plus d’un instant sur chaque fleur. […] De même la peinture des mœurs contemporaines dans la comédie nouvelle, n’est qu’un élément romain, français, anglais ou allemand, qui, n’appartenant pas au fond commun de la nature humaine, ne reste pour la postérité qu’un objet de curiosité historique. […] J’ai bien peur qu’en changeant de place, elle n’ait aussi changé de nature, et qu’au lieu d’être la franche gaieté comique, elle ne soit plus que le ridicule. […] La paresse, la luxure, la gourmandise, surtout un certain degré d’ivresse, voilà ce qui met la nature humaine dans l’état de l’idéal comique65. […] Elle exclut toute autre passion, mais surtout celle-là, et un vieil avare amoureux est une contradiction dans les termes ou un contre-sens de la nature.