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518. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « M. Jouffroy »

Jouffroy Il y a une génération qui, née tout à la fin du dernier siècle, encore enfant ou trop jeune sous l’Empire, s’est émancipée et a pris la robe virile au milieu des orages de 1814 et 1815. […] Ce n’est pas de ces miroirs à facettes qui tournent et brillent volontiers, ne représentant en saillie qu’une étroite portion de l’objet à la fois ; ce n’est pas de ces miroirs ardents, trop concentriques, d’où naît bientôt la flamme. […] Théodore Jouffroy est en 1796, au hameau des Pontets près de Mouthe, sur les hauteurs du Jura, d’une famille ancienne et patriarcale de cultivateurs. […] Leroux et Dubois, naquit le Globe ; mais celle de M.  […] Jouffroy est une de celles qui frappent le plus au premier aspect, par je ne sais quoi de mélancolique, de réservé, qui fait naître l’idée involontaire d’un mystérieux et noble inconnu.

519. (1863) Cours familier de littérature. XV « XCe entretien. De la littérature de l’âme. Journal intime d’une jeune personne. Mlle de Guérin (3e partie) » pp. 385-448

Je jouai beaucoup et je repartis le lendemain, aimant fort ce petit enfant qui venait de naître. […] Il a été enlevé si subitement, si rapidement, avant d’avoir le temps de rien faire, ce jeune homme pour tant de choses, ce semblait. […] Mon Dieu, le voilà tombé lui aussi, lui si jeune, le dernier de la famille, que je comptais bien laisser en ce monde, entouré d’enfants qui m’auraient pleurée comme leur mère ! […] ce petit Journal qui continuera ma pensée et ma vie, cette vie maintenant hors de son cours ordinaire, comme si notre ruisseau se trouvait transporté sur les bords de la Loire, cette Loire, ce pays que je ne devais jamais voir, tant j’en étais née loin. […] Mais il paraît que cet amour était trop tard et que l’objet n’était pas libre de l’accepter.

520. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXIVe entretien. Chateaubriand, (suite.) »

C’est en vain que Néron prospère, Tacite est déjà dans l’empire ; il croît, inconnu, auprès des cendres de Germanicus, et déjà l’intègre Providence a livré à un enfant obscur la gloire du maître du monde. […] Il égale et dépasse l’homme des Charmettes, plus fastueux de forme, mais plus vrai d’idées ; un homme d’État pouvait naître de lui, un rhéteur seul pouvait naître de Rousseau. […] Comme pensée, il peut rivaliser avec avantage les premières grandeurs littéraires de la langue : Bossuet, dans des circonstances plus simples, n’eut pas plus de solennité, il n’eut qu’à se mettre au service d’une religion sans doutes et d’une monarchie sans limites ; il fut le courtisan de Dieu et du roi. […] C’est le prophète de l’isolement, le patriarche des forêts ; c’est à ce don de la solitude de son génie qu’il a dû, dès ses premiers ouvrages, la sauvage immensité de ses conceptions et l’infinie tristesse de ses images : la mélancolie est née avec lui dans la littérature française. […] Nous qui devions bientôt naître, nous naquîmes de lui : volontairement ou involontairement, nous fûmes ses disciples.

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