Aucun esprit ferme, au nom de l’école de Hume et de Voltaire, au nom de celle de l’expérience et du bon sens, au nom de l’humilité humaine, n’est venu lui dérouler les objections qui n’auraient rien diminué de ses mérites vigoureux de penseur et d’ordonnateur, qui auraient laissé subsister bien des portions positives de son œuvre, mais qui auraient fait naître quelques doutes sur le fond de sa prétention exorbitante. […] Toutes les causes perdues, qui n’ont pas eu leur représentant ou qui ont été vaincues en définitive, sont déclarées impossibles, nées caduques, et de tout temps vouées à la défaite. […] On a dit du bon Joinville, le naïf chroniqueur, que son style sent encore son enfance, et que « les choses du monde sont nées pour lui seulement du jour où il les voit ».
Elle était de son nom Mlle de Breteuil, née en 1706, de douze ans plus jeune que Voltaire. […] Simonide le disait mieux dans des vers dont voici le sens : « La santé est le premier des biens pour l’homme mortel ; le second, c’est d’être beau de nature ; le troisième, c’est d’être riche sans fraude ; et le quatrième, c’est d’être dans la fleur de jeunesse entre amis. » Ces traités où la théorie s’évertue à démontrer les machines et les industries de détail du bonheur, et à inventer à grande peine ce qui naît de soi-même dans la saison, me rappellent encore un joli mot de d’Alembert, et qui ne sent pas trop le géomètre : « La philosophie s’est donné bien de la peine, dit-il, pour faire des traités de la vieillesse et de l’amitié, parce que la nature fait toute seule les traités de la jeunesse et de l’amour. » Il est pourtant des endroits bien sentis dans le traité de Mme du Châtelet : elle y parle dignement de l’étude, qui, « de toutes les passions, est celle qui contribue le plus à notre bonheur ; car c’est celle de toutes qui le fait le moins dépendre des autres ». […] Mais un tel accord de deux êtres si à l’unisson lui semble trop beau : Un cœur, capable d’un tel amour, dit-elle, une âme si tendre et si ferme, semble avoir épuisé le pouvoir de la Divinité ; il en naît une en un siècle ; il semble que d’en produire deux soit au-dessus de ses forces, ou que, si elle les avait produites, elle serait jalouse de leurs plaisirs si elles se rencontraient.
Louis-Antoine de Pardaillan de Gondrin, marquis et plus tard duc d’Antin, né vers 1665, était fils de Mme de Montespan, et, ce qui fit longtemps son désespoir, il était fils de son père, c’est-à-dire de M. de Montespan, et non pas de Louis XIV ; il était le fils unique né dans le mariage, et avant que Mme de Montespan entrât au lit de Jupiter pour lui donner des demi-dieux. […] Né avec beaucoup d’esprit, beau comme le jour dans sa jeunesse, « il tenait, dit Saint-Simon, de ce langage charmant de sa mère et du gascon de son père », du gascon adouci par « un tour et des grâces naturelles qui prévenaient toujours ».