La Diète de Ratisbonne, prise à tout instant pour juge et harcelée de réclamations, ne savait qu’opposer un veto impuissant, réserver les droits, se plaindre et demander, que la France voulût bien produire une bonne fois toutes ses prétentions : c’était, disait-elle, le seul moyen pour elle de couper court d’un seul coup à « ce chancre de prétentions que la France proposait sans cesse, et qui ne pourrait être qu’irrémédiablement contagieux pour l’Empire. » On en vint même, dans cette guerre de chicane, jusqu’à soupçonner que, parmi les titres qu’on produisait à l’appui du droit de la France, tous les parchemins n’étaient pas aussi vieux qu’on le disait. […] Mais comment résister aussi au désir d’user de ce rocher si propice comme de son bien propre, pour y élever « l’inaccessible forteresse de Mont-Royal », de laquelle, dans un accès de verve à la Vauban et dans son ardeur de fortification, il disait comme eût fait un artiste, et en s’applaudissant de son idée : « Rien n’est plus beau que le poste que j’ai été visiter sur la Moselle, qui mettra les frontières du roi en telle sûreté, et les Électeurs de Cologne, Trêves, Mayence et le Palatin en telle dépendance, que cette frontière-ci sera meilleure et plus aisée à défendre que n’est celle de Flandre. » Une telle utilité justifiait à ses yeux bien des moyens. […] Par mesure de prudence, les magistrats avaient eu soin de laisser sans poudre les canons du rempart, afin d’ôter aux mauvaises têtes, s’il y en avait, le moyen de commencer un jeu qui aurait mal fini pour la population tout entière.
— Au moins il faut y tendre et y viser de tous ses moyens, à cet état de moindre antagonisme, de paix européenne universelle et d’harmonie. — Oh ! […] car la liberté, ce n’est que le moyen auquel on avait droit : la liberté ne dispense pas d’être habile, et cette habileté, dans un tel ordre de société, est encore plus nécessaire aux gouvernés qu’aux gouvernants. […] J’en reviens, de guerre lasse, à penser que de même que les Prières dans l’Antiquité, et selon la belle allégorie homérique, étaient représentées boiteuses, dans les temps modernes les réformes ne viennent que boiteuses aussi ; on ne les obtient que lentement, une à une ; elles s’arrachent par morceaux, et les eût-on toutes à la fois, l’homme trouverait encore moyen d’y réintroduire les abus à l’instant même.
Michel Nicolas, je me suis adressé à lui-même pour avoir les moyens, à mon tour, de remonter directement aux sources ; j’ai questionné par lettres des membres de la famille de Jean-Bon qui avaient gardé des récits de tradition orale ; j’ai reçu, de Montauban, la communication de pièces originales et rares, difficiles à retrouver29. […] Il nous faut des maîtres plus sensibles qu’instruits, plus raisonnables que savants, qui dans un lieu vaste et commode, hors des villes, hors de l’infection de l’air qu’on y respire et de la dépravation des mœurs qui s’introduit par tous les pores, soient les égaux, les amis, les compagnons de leurs élèves ; que toute la peine, que tout le travail de l’instruction soit pour le maître, et que les enfants ne se doutent même pas qu’ils sont à l’école ; que dans des conversations familières, en présence de la nature et sous cette voûte sacrée dont le brillant éclat excite l’étonnement et l’admiration, leur âme s’ouvre aux sentiments les plus purs ; qu’ils ne fassent pas un seul pas qui ne soit une leçon ; que le jour, la nuit, aux heures qui seront jugées les plus convenables, des courses plus ou moins longues dans les bois, sur les montagnes, sur les bords des rivières, des ruisseaux ou de la mer, leur fournissent l’occasion et les moyens de recevoir des instructions aussi variées que la nature elle-même, et qu’on s’attache moins à classer les idées dans leur tête qu’à les y faire arriver sans mélange d’erreur ou de confusion. » Vous voyez d’ici le tableau idéal et enchanteur de toutes ces écoles primaires et rurales de la République française, où chaque enfant serait traité comme Montaigne, Rabelais ou Jean-Jacques ont rêvé de former et de cultiver leur unique élève. […] Jean-Bon a l’instinct d’un autre système de guerre, mais il n’en indique pas les moyens.