Nos réserves ainsi faites contre les moyens et le but de Rohan, nous sommes en droit de faire remarquer sa fermeté singulière et sa constance. […] Au réveil et dans la convalescence, soit que Rohan ne soit plus tout à fait le même, soit que les affaires aient empiré, il ne voit plus moyen de concilier les ordres qu’il reçoit de la Cour avec les nécessités impérieuses qui l’enserrent de plus en plus près. […] Habile capitaine plutôt que grand général, sa mesure à cet égard est difficile à prendre, et j’aimerais assez à entendre là-dessus des gens du métier : à le traduire à la moderne, ce qui est toujours hasardeux, vu l’extrême différence des moyens en usage aux différents siècles, il me fait l’effet d’être ou d’avoir pu être, comme militaire, quelque chose entre Gouvion Saint-Cyr et Macdonald, et plus près du premier à cause des pensées.
L’origine était peu de chose : un grand-père, né de quelque honnête marchand, de quelque commis au greffe, avait commencé la fortune, humblement, laborieusement ; il s’était élevé degrés par degrés, en passant par tous les bas et moyens emplois, en se faisant estimer partout, en se rendant utile, nécessaire, en sachant mettre à profit les occasions ; il avait à la fin percé, il était arrivé, déjà mûr, à quelque charge honorable et y avait assez vieilli pour confirmer son bon renom : il avait eu un fils, pareil à lui, mais qui, né tout porté, avait pu appliquer dès la jeunesse les mêmes qualités à des objets en vue et en estime, à des affaires publiques et d’État. […] Dans un récit naïf que le fils de ce premier d’Ormesson a tracé de la vie de son père, on lit à cet endroit : Mon père fut si affligé et étonné de sa mort, qu’il fut près de six mois, comme il nous a dit, qu’il ne trouvait aucun moyen de se consoler. […] Dans le récit domestique où il raconte, sans prétendre la surfaire, cette vie si honorable d’un homme de médiocre condition, son fils André avait bien raison de dire au début : Ceux qui liront ce discours souhaiteront peut-être sa bonne fortune et tâcheront d’imiter ses vertus et perfections ; car étant aîné d’une famille médiocre en extraction et en biens, ayant perdu son père à cinq ans, sa mère s’étant remariée deux ans après, avoir par tous moyens amassé des biens suffisamment et être parvenu à des charges très honorables, n’est-ce pas un bonheur très grand et très rare ?
Il était d’une parfaite ignorance, d’un tempérament mélancolique, maladif, parlant peu, pensant encore moins, un de ces individus exemplaires marqués d’un signe, et au front desquels il est manifestement écrit : Comment les races royales finissent, tellement soumis à son confesseur, qu’il n’y avait pas moyen de lui faire prendre une détermination quelconque, sans que le confesseur en décidât : aussi ceux qui avaient intérêt à agir sur lui usaient-ils de ce secret ressort, qui ne manquait jamais son effet ; quand on voulait lui faire changer d’idée, on lui changeait son confesseur, et il en eut jusqu’à sept en cinq ans. […] » Quand on changea la camarera-mayor et que la reine à bout de patience eut pris sur elle de demander son éloignement au roi, celui-ci lui répondit d’abord : « Qu’on n’avait jamais fait dans le palais un pareil changement ; que cependant, si elle le souhaitait absolument, il trouvait bon qu’elle eût une autre camarera-mayor, mais qu’elle devait bien penser au choix qu’elle voulait faire, parce qu’après ce changement, il n’y aurait plus moyen d’en faire un second. » Cette sorte de stupidité d’un prince sur qui les raisons ne pouvaient rien se tournait en toute occasion contre la France. […] Le voyage de l’Escurial, à une certaine époque de l’année, est irrévocablement réglé, infaillible et invariable comme le cours des astres et des saisons, et il n’y a pas moyen de l’éluder.