Et les saints eux-mêmes ne sont pas fâchés sans doute de pouvoir mépriser en sûreté de conscience, par une pensée religieuse, ce que le vulgaire déteste par un mouvement naturel. […] Autrement dit, elle avait naturellement le style échauffé, fringant, excessif, de trop de mouvement, de trop de gestes, de trop de bruit, par lequel se définit justement « le brillant chroniqueur ». […] Il dit de Voltaire : « Voltaire a, comme le singe, les mouvements charmants et les traits hideux. » Il dit de Platon : « Platon se perd dans le vide, mais on voit le jeu de ses ailes, on en entend le bruit. » Il nous apprend que « Xénophon écrit avec une plume de cygne, Platon avec une plume d’or et Thucidyde avec un stylet d’airain ». […] Et, par un mouvement excusable, ces méthodes mal déterminées encore, mais apparemment contradictoires à ses aptitudes, cette guerre trop savante, peu avantageuse aux « héros », il s’en défie, il les appréhende pour nous.
A la première réponse faite par Tannhaeuser à Wolfram, elle avait senti son cœur battre à l’unisson de ses aspirations passionnées ; pour le lui dire elle avait fait un mouvement resté inaperçu de lui, car nulle autre approbation ne s’était jointe à la sienne ; elle savait donc que si même le péché avait séduit le fiancé de son âme, ce ne pouvait être qu’en l’abusant, et elle ne doutait ni de sa grandeur native, ni de ses ressources du salut. […] Dans cette multiplicité d’aveux échappés aux plus cruels tournions, le chant, le récitatif, la parole, l’interjection, le cri, le rire sardonique se succèdent et s’entremêlent avec une telle vérité pathologique, une telle science toxicologique, une telle variété de mouvements passionnés, désolés et révoltés, selon que les espérances accordées et frustrées, la pitié due à un cuisant remords obstinément déniée, le pardon d’une faute amèrement déplorée à jamais rendu impossible, les instantes supplications repoussées, les repentirs ardents dédaignés, enfin le terrifiement dernier du désastre irrémédiable viennent se retracer dans une énumération haletante, que es moment forme à lui seul un drame dans le grand drame, et par ses sombres couleurs et son épouvantable angoisse, se détache de ce qui l’a précédé ainsi que de ce qui va suivre, comme une évocation qui aurait brisé les scellés de l’abîme des maux, pour surgir devant nos regards pétrifiés, pour leur dévoiler subitement tout l’infini de la douleur, et chacun de ses râles impuissants. […] Par la suite des âges, un pouvoir pareil de signification émotionnelle s’attacha aux syllabes des mots : c’est un progrès tout comparable à celui de la musique pure, qui, d’abord, fut la mélodie, valant par les seuls rythmes et mouvements, et qui fut enfin l’harmonie, où chaque note (accord) acquit une force spéciale et propre d’émotion. […] Mais cette mort de la poésie ne détruit point la possibilité d’une littérature émotionnelle : la musique des mots peut être aussi clairement, et plus entièrement, exprimée par une prose : une prose tout musicale et émotionnelle, une libre alliance — libre au point de vue du sens notionnel — une alliance harmonieuse de sons et de rythmes, indéfiniment variée suivant l’indéfini mouvement des nuances d’émotion.
Bernis, revenu de Venise et qui était dans la main de Mme de Pompadour, fut chargé de rédiger l’œuvre et de concerter le traité d’alliance : malgré ses premières objections d’homme sensé, il ne résista pas longtemps au mouvement général qui entraînait tout le monde autour de lui ; il fut ébloui et crut contribuer à la plus grande opération politique qu’on eût tentée depuis Richelieu. […] Louis XV coupa court à la difficulté par un ordre que Bernis reçut le 13 décembre et qui l’exilait dans son abbaye près de Soissons : une lettre de lui au roi écrite au reçu de l’ordre, et une autre lettre écrite dans la soirée de la même journée à Mme de Pompadour, n’expriment que des sentiments de soumission parfaite et de reconnaissance infinie pour le passé, sans un seul mouvement de plainte.