Tout apprendre, tout savoir, depuis les propriétés des simples et la confection des confitures, jusqu’à l’anatomie du cœur humain, être de bonne heure sur le pied d’une perfection et d’une merveille, tirer de tout ce qui passe dans la société matière à roman, à portrait, à dissertation morale, à compliment et à leçon, unir un fonds de pédantisme à une extrême finesse d’observation et à un parfait usage du monde, ce sont des traits qui leur sont assez communs à toutes les deux ; les différences pourtant ne sont pas moins essentielles à noter. […] Un des premiers sujets qu’elle y traite est celui de la Conversation même : Comme la conversation est le lien de la société de tous les hommes, le plus grand plaisir des honnêtes gens et le moyen le plus ordinaire d’introduire non seulement la politesse dans le monde, mais encore la morale la plus pure et l’amour de la gloire et de la vertu, il me paraît que la compagnie ne peut s’entretenir plus agréablement ni plus utilement, dit Cilénie (un de ces personnages qu’elle aime), que d’examiner ce que c’est qu’on appelle conversation. […] C’est par ce côté aussi que je la juge, et que, tout en lui reconnaissant beaucoup de distinction et d’ingénieuse sagacité d’analyse, beaucoup d’anatomie morale, j’ajoute que le tout est abstrait, subtil, d’un raisonnement excessif et qui sent la thèse, sans légèreté, sans lumière, sec au fond et désagréable.
Mme Necker se propose dans cet écrit, qu’elle traçait d’une main déjà défaillante, de combattre la loi française du divorce et d’en montrer les contradictions avec les principales fins de la nature en société et de la morale. […] Sans la suivre dans son argumentation, je ne relèverai que quelques pensées d’une morale pénétrante. […] Entrée dans la société de Paris avec le ferme propos d’être femme d’esprit et en rapport avec les beaux esprits, elle a su préserver sa conscience morale, protester contre les fausses doctrines qui la débordaient de toutes parts, prêcher d’exemple, se retirer dans les devoirs au sein du grand monde, et, en compensation de quelques idées trop subtiles et de quelques locutions affectées, laisser après elle des monuments de bienfaisance, une mémoire sans tache, et même quelques pages éloquentes.
Abordant franchement, dans son Essai sur l’éloquence de la chaire, les causes de la décadence du genre durant le xviiie siècle, il s’en prend encore moins au talent des orateurs chrétiens qu’à l’usage peu chrétien qu’ils ont fait de leur talent en courtisant le goût et l’esprit du jour, en s’écartant des sources directes de la doctrine et de la foi pour se jeter sur des thèmes de morale à la mode et de bienfaisance. Il faut l’entendre là-dessus parler avec autorité et conviction : Les grands sujets de cette belle et solide instruction chrétienne, si bien indiqués par l’Église dans l’ordre annuel et la distribution des Évangiles ; ces sujets si importants, si féconds, si riches pour l’éloquence, et sans lesquels la morale, dépourvue de l’appui d’une sanction divine et déshéritée de l’autorité vengeresse d’un Juge suprême, n’est plus qu’une théorie idéale et un système purement arbitraire qu’on adopte ou qu’on rejette à son gré ; ces sujets magnifiques, dis-je, furent plus ou moins mis à l’écart par les orateurs chrétiens qui composèrent malheureusement avec ce mauvais goût, et qui, en s’égarant dans ces nouvelles régions, renoncèrent d’eux-mêmes aux plus grands avantages et aux droits les plus légitimes de leur ministère. […] Mais, en laissant la question théologique et canonique en dehors, la question morale ne reste pas un instant douteuse.