Il est incroyable que ce sentiment moral intérieur dont il était pourvu, et qui le tenait si fort en rapport avec les autres hommes, n’ait pas averti Rousseau à quel point il y dérogeait en maint endroit de sa vie et en mainte locution qu’il affecte. […] L’autre espèce d’altération et de corruption qu’on peut noter en lui est plus grave, en ce qu’elle tient au sens moral : il ne semble pas se douter qu’il existe certaines choses qu’il est interdit d’exprimer, qu’il est certaines expressions ignobles, dégoûtantes, cyniques, dont l’honnête homme se passe et qu’il ignore. […] Rousseau n’est pas seulement un ouvrier de la langue, apprenti avant d’être maître, et qui laisse voir par endroits la trace des soudures : c’est au moral un homme qui, jeune, a passé par les conditions les plus mêlées, et à qui certaines choses laides et vilaines ne font pas mal au cœur quand il les nomme.
Il avait peu à faire pour devenir indiscret, léger, séducteur et inconstant, un peu fat en un mot ; mais sa bonne nature, aidée du patronage moral du duc de Penthièvre, contint et régla ses défauts, lors même qu’elle n’en triompha point. […] Dans ton beau roman pastoral, Avec tes moutons pêle-mêle, Sur un ton bien doux, bien moral, Berger, bergère, auteur, tout bêle. […] C’est un don de l’expérience et même d’une profonde étude que d’être familier et de rire avec ses lecteurs. » Plus jeune, il avait osé rire et pleurer à la fois dans ses arlequinades pour Mme Gonthier ; plus mûr, et un peu enhardi par les débuts de la Révolution, il osa être piquant, gai, malin, en même temps que moral encore et bienveillant, dans ses Fables.
Dans l’ordre moral il reste inégal et très mélangé. […] Ce croulement donc m’anima certes plus qu’il ne m’atterra… » Notez que sa santé, d’ordinaire plus faible, s’est trouvée ici remontée au niveau de son moral, et elle a eu de quoi suffire à ces diverses secousses, qui semblaient devoir l’abattre. […] Son livre est un trésor d’observations morales et d’expérience ; à quelque page qu’on l’ouvre et dans quelque disposition d’esprit, on est assuré d’y trouver quelque pensée sage exprimée d’une manière vive et durable, qui se détache aussitôt et se grave, un beau sens dans un mot plein et frappant, dans une seule ligne forte, familière ou grande.